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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/69

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Étant passé jusqu’à l’horloge du Palais, je me sentis si fort piqué de passion, qu’il fallut nécessairement que je rebroussasse chemin pour revoir mon cher objet. Je m’avisai d’entrer au lieu où était la belle, pour acheter quelque chose tout exprès et, comme je ne savais que demander, je fus longtemps arrêté sur ce mot : « Montrez-moi… enfin, ce dis-je, montrez-moi un des plus beaux diamants que vous avez. » Le marchand, étant empêché à faire voir un collier de perles à ma déesse, ne put pas sitôt venir à moi, dont je fus plus aise que s’il m’eût baillé sa marchandise pour néant ; car je pouvais considérer avec attention des yeux qui brillaient davantage que ses pierreries, des cheveux plus beaux que son or et un teint dont la blancheur était plus grande que celle de ses perles orientales. Un peu après, il m’apporta ce que je lui avais demandé, et, en ayant su la valeur, je m’adressai à la bourgeoise, que je priai courtoisement de me montrer son achat, afin de trouver occasion de l’arrêter. Une autre de sa compagnie, qui tenait le collier, me le montra de fort bon gré, et lui dit après en lui rendant :

— Tenez, la fiancée, retournons-nous-en au logis, il est déjà tard.

Je connus par ces paroles que cette jeune mignarde était sur le point d’être mariée, et que c’était qu’elle achetait tout ce qui lui était besoin. Il y avait avec elle un bon vieillard qui déboursait tout l’argent ; je le pris du commencement pour son père ; mais je fus étonné, lorsque, après qu’ils s’en furent allés, l’orfèvre me dit :

— Regardez, monsieur, voilà le fiancé ; n’est-il pas