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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/71

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Aussi je ne m’en informai point davantage. Tout ce que je tâchai de faire fut d’accoster la gentille Laurette. De vingt fois que je passais par devant son logis, il n’y en avait guère qu’une qui me fût favorable pour me la faire voir. Un soir, la trouvant toute seule à sa porte, je l’abordai gracieusement et lui demandai si elle ne savait point où demeurait un je ne sais quel homme, dont j’inventais le nom tout exprès. Quand elle m’eut répondu qu’elle ne le connaissait point, je contrefis l’étonné, disant qu’il m’avait assuré lui-même que son logis était en cette rue-là, et je ne quittai pas pourtant cette mignonne. Elle, qui se doutait presque de mon dessein, entama tout incontinent un autre discours et me demanda si je n’étais pas de son quartier, vu qu’elle m’y voyait souventes fois. Je lui répondis que non et lui dis résolument qu’elle avait tant de charmes qu’elle m’y attirait tous les jours, combien que je fusse d’un lieu fort éloigné. Elle me répliqua qu’il fallait bien que ce fût un autre sujet plus puissant qu’elle qui m’y amenât ; puis elle commença à se mettre tout à fait dans les termes d’une ingénieuse humilité. Je ne pus pas souffrir qu’elle s’abaissât de cette sorte et la relevai jusques aux astres du firmament. Ma conclusion fut telle que l’on prend d’ordinaire, de dire que tant de parfaites qualités qu’elle possédait faisaient que je n’avais rien de si cher que l’honneur de me pouvoir nommer son esclave.

Ce fut bien alors qu’elle me fit paraître combien elle était fine à ce jeu-là : car voyant qu’elle n’avait pas affaire à un novice, elle déploya tout ce qu’elle avait de subtil et d’artificieux ; et je vous assure,