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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/72

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à ma honte, que je vis quasi l’heure que j’étais déferré[1].

Cela fit que je l’aimai encore davantage, et ces gentillesses non vulgaires, dont elle usa envers moi, furent comme qui jetterait de l’huile dedans un feu. Ses noces, qui se firent bientôt après, ne me causèrent aucune fâcherie, sinon en ce que je considérais quelquefois qu’un vieillard maussade tenait la place que je croyais m’être due. L’espérance m’était comme un baume salutaire dont j’adoucissais la douleur de toutes mes plaies. Il me semblait qu’il était infaillible que Laurette, belle et jeune, serait fort aise de trouver un ami qui fît, au lieu de son époux, une besogne qui ne pouvait pas demeurer à faire. Il faut un bon Atlas pour ne point succomber à un faix si pesant que celui de satisfaire aux amoureuses émotions d’une femme. Valentin n’avait pas, à mon avis, des épaules assez fortes pour le supporter ; il fallait que quelqu’un lui aidât. Au reste je m’imaginais que ma fidélité me ferait choisir de Laurette, pour cette affaire, entre tous les hommes du monde.

Tandis que je me flatte par cette pensée, voici un accident qui arrive, dont je ne me doutais pas : c’est que Valentin sort de Paris pour toujours avec son ménage. Je m’enquiers du lieu de sa retraite ; l’on m’apprend que c’est en ce pays-ci et en un château qui appartient à son maître, dont nous ne sommes éloignés que de quatre lieues. Je me fâche, j’enrage et me désespère de l’absence de Laurette, sans laquelle il ne m’était pas avis que je pusse vivre. Enfin, je me résous à délaisser toutes les bonnes fortunes que j’attendais auprès du roi pour venir ici tâcher de recueillir celles de l’amour.

  1. ndws : ne plus savoir que répondre, être fort étonné, cf. éd. Roy, t. I, p. 49.