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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/74

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à ses yeux de me voir déguisé de la sorte que j’étais, et lui dis avec ma première modestie :

— Croyez-vous bien, madame, que la charité m’a fait prendre la hardiesse de vous venir adresser une prière de la part d’une personne que vous tourmentez cruellement, et qui n’attend du secours que de votre main ? Je veux parler de Francion, que vos perfections ont vaincu. Je ne vous supplie pour lui que d’ordonner comment il vivra désormais.

— Je ne m’étonne point si vous avez pris cette peine, me dit Laurette, car c’est pour vous-même que vous intercédez.

— Étant vêtu en pèlerin, je suis pèlerin, lui répondis-je, et par ainsi le pèlerin vous implore pour Francion.

Là-dessus, je lui appris la passion incomparable qui m’affligeait pour elle, et lui assurai que je n’étais venu en ce pays-ci et que je n’avais changé d’habit que pour la voir.

Comme elle était subtile à trouver des matières d’ingénieuses réponses dans mes discours, elle me dit incontinent :

— Puisque vous jurez que vous n’êtes venu ici que pour me voir, vous serez le plus déloyal du monde, si vous m’importunez de vous départir un autre bien plus grand que celui-là.

Je lui représentai la rigueur qu’elle exerçait dessus moi, en expliquant mes propos à ma ruine, en un sens contraire à celui qu’ils devaient avoir, et lui fis paraître qu’elle me rendrait promptement désespéré si elle ne me donnait de l’allègement. La mauvaise, tout au con-