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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/80

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bien mieux connaître que tout autre chose. Néanmoins il se proposa de ne lui pas découvrir sitôt, qu’ils avaient eu ensemble autrefois de particulières familiarités. Ayant beaucoup d’imaginations en son esprit, il se laissa vaincre par les charmes du sommeil, qui le rendirent assoupi insensiblement.

Il y avait dedans l’autre lit de la même chambre une certaine vieille, qui, arrivant des champs toute lasse, s’y était couchée de fort bonne heure. Son premier somme était déjà achevé, et déjà elle avait perdu toute la puissance et toute l’envie de dormir, quand Francion avait été sur la fin de son conte ; de façon qu’elle avait entendu qu’il était amoureux de madame Laurette, que personne ne connaissait si bien qu’elle. Il avait parlé d’une voix aussi haute au commencement que, si elle n’eût point encore été endormie à l’heure, elle eût bien pu savoir comment il s’appelait. Cela lui eût donné une parfaite connaissance de lui ; car elle l’avait ouï souvent nommer à la Cour.

Ne sachant donc pas qui il était, elle eut une telle curiosité de l’apprendre et de voir son visage, que, deux heures après, elle se mit à la ruelle de sa couche et tira du feu d’un fusil d’Allemagnewkt, qu’elle portait toujours, dont elle alluma une chandelle ; puis elle prit le chemin du lieu où il lui semblait que celui qui avait tant discouru était couché. À la voir marcher toute nue en chemise, d’un pas tremblant, avec la lumière en sa main, l’on eût dit que c’était un squelette qui se remuait par enchantement.



Elle tira tout bellement un rideau du lit de Francion, et retroussa un peu la couverture qui cachait son visage,