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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/86

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lence ; mais je veux vous ôter ces imaginations et vous conter toute sa vie, afin que vous sachiez de quel bois elle se chauffe. Aussi bien fait-il si mauvais temps, que, ne pouvant encore sortir d’ici, il nous faut quelque entretien.

Comme elle disait cela, le gentilhomme s’approcha d’elle et témoigna qu’il serait fort joyeux d’entendre les contes qu’elle ferait, qui ne pouvaient être autres qu’agréables. Après donc s’être un peu arrêtée et avoir dit qu’elle voulait conter ses actions aussi bien que celles de Laurette, elle commença ainsi :

— Je ne feindrai point, mes braves, de vous dire mes jeunes amourettes, d’autant que je connais que vos esprits ne sont pas faits de cruche, comme ceux des autres et que ce m’est une gloire d’avoir suivi la bonne nature. Je vous dis donc que mon père, ne me pouvant toujours nourrir à cause de sa pauvreté, me mit à l’âge de quinze ans, à servir une bourgeoise de Paris dont le mari était de robe longue. En ma foi, c’était la plus mauvaise femme que je vis jamais. Bon Dieu, comment le croirez-vous bien ? Il eût mieux valu que celui qui l’avait épousée eût épousé un gibet ou qu’il eût été attaché à une chaîne de galère que d’être lié à elle par mariage, car il n’eût pas eu tant à souffrir. Dès le matin, elle se mettait à jouer et à faire gogailleswkt avec ses voisines. Monsieur était-il revenu du Châtelet fort tard, il avait beau dire que la faim le pressait, elle ne se mettait point en devoir de lui faire apprêter à dîner, parce que, pour elle, elle était saoule, et il lui semblait que les autres l’étaient de même. Qui plus est, s’il pensait ouvrir la bouche pour crier, elle le forçait de la