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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/87

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clore aussitôt, de peur de l’irriter davantage ; car elle l’étourdissait de tant d’injures, qu’il fallait qu’il fût armé de la patience de Job pour les souffrir. Combien que ce fussent ses affaires qui l’avaient empêché de revenir de bonne heure elle lui disait que c’était son ivrognerie et qu’il venait de trinquer quelque part. Quand il voyait cela, il prenait son manteau et s’en allait prendre son repas ailleurs ; mais il rendait sa cause pire, car elle faisait en sorte que quelqu’une de ses voisines savait le lieu où il allait, et puis elle lui disait : « Vous voyez, notre maison lui pue ; il n’y vient point, ni pour la table, ni pour le lit » ; puis elle procurait tant, que quelqu’un de ses parents lui en faisait des réprimandes.

Je vous laisse à penser si elle n’exerçait pas de plus notables rigueurs dessus moi. Dieu sait combien de fois elle m’a fait souper par cœur[1], les jours qu’elle était de festin chez ses compagnes, et combien de horions elle m’a baillés principalement quand je ne lui agençais pas bien quelque chose, lorsqu’elle s’habillait. Elle tenait toujours une épingle dans sa main, dont elle me piquait le bras quand je n’y songeais point. Une fois, la servante de cuisine ne se trouva pas sur le dîner à la maison ; c’était un vendredi, il fallut que je fisse une omelette. Parce que j’y mis un mauvais œuf et qu’il tomba de la suie dedans, madame prit tout et m’en fit un masque, me la plaquant au visage. Si je n’avais pas bien fait ma besogne, quand il venait une de ses voisines la visiter, tout leur entretien était là-dessus. « Ma servante fait ceci, elle fait cela, par-ci par là ; c’est une diablesse presque entière, il ne lui faut plus que des cornes. — La

  1. ndws : « souper par cœur » idiotisme, « ne manger point ». cf. éd. Roy, t. I, p. 63, qui réfère à Oudin p. 108.