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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/88

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mienne l’outrepasse en mauvaiseté, disait l’autre, je vous veux conter de ses tours. » Sur cela, elle commençait à en enfiler de toutes sortes : qu’au lieu qu’un muid de vin avait accoutumé de durer trois mois, il n’en durait plus que deux depuis qu’elle lui avait baillé la clef de la cave ; que, si elle l’envoyait en message, elle y mettait une journée, et qu’elle n’était jamais lasse de deviser, spécialement avec des galefretierswkt qui lui faisaient l’amour. Ainsi se passait toute leur communication.

Mais je vous assure que, quand je pouvais rencontrer la servante dont la maîtresse avait tant dit de mal, je savais bien trouver ma langue et ma mémoire pour lui rendre tout de point en point. C’était alors que nous nous entredisions nos infortunes et que nous savions bien dire autant de choses de ces madames qu’elles en sauraient dire de nous : c’est un souverain plaisir que de médire, lorsque l’on est offensé ; aussi ne nous y épargnions-nous pas.

Il faut que je vous conte comment et pourquoi je sortis d’avec cette maîtresse. Elle était fort somptueuse en habillements, et son plus grand contentement était d’y passer toujours ses voisines ; de sorte que, quand elle voyait que quelqu’une avait une robe à la mode ou quelque autre chose, elle enrageait de n’en avoir point aussi. C’était alors qu’il fallait bien nécessairement qu’elle se portât en une extrémité fâcheuse ; car elle était contrainte de faire des caresses extraordinaires à son mari, pour tirer la moelle de sa bourse.

— Ha, mon fils, mon mignon, disait-elle en le baisant, endureras-tu toujours que cette petite gueuse du coin de