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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/89

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notre rue, qui était au cagnardwkt il n’y a pas longtemps, me morgue quand elle me voit, comme si je n’étais rien à sa comparaison, à cause qu’elle a une plus belle robe que moi ? Souffriras-tu toujours que je ne paraisse qu’un torchon au prix d’elle, et qu’étant en sa compagnie, l’on me prenne pour son chambrillonwkt ? Ne sais-tu pas que l’office qu’a son mari n’est pas si honorable que le tien et qu’il ne vaut que douze mille francs, au lieu que celui que tu as, étant loyalement apprécié, en vaudrait plus de quinze mille ? Je n’ai point eu de robe ni de jupe depuis celle de mon mariage ; donne-moi pour en avoir d’autres.

Voilà les discours qu’en ces nécessités elle tenait à son mari ; et l’ayant su amadouer, lui promettait de lui obéir en toutes choses dorénavant, elle obtenait quelquefois tout ce qu’elle voulait de lui.

Voulant donc un jour avoir un collier de plus grosses perles qu’elle n’avait, elle voulut aller à son secours ordinaire ; mais monsieur était alors d’une humeur si revêche, qu’il la rabroua comme elle méritait. La douceur ne lui pouvant servir de rien, elle vola à l’autre extrémité et commença à chanter pouille à son mari ; elle lui reprocha que, sans elle, il eût été à l’hôpital, que les moyens qu’elle lui avait apportés l’avaient relevé du fumier, et que cependant il ne lui voulait pas bailler une chétive somme d’argent dont elle avait nécessairement affaire. Elle lui représenta qu’il n’était fils que d’un paysan, et qu’en sa jeunesse il avait porté la hotte aux vendanges. Pour se revancher, il lui dit que les villageois, gens simples et sans méchanceté, valaient bien les marchands trompeurs, comme était son père. Là-dessus il lui déduisit les fraudes