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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/91

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cessa les siens, qui lui avaient presque écorché la gorge, et, laissant vider le nouveau différend, elle sortit de la maison tellement en fougue, que ses yeux eussent épouvanté ceux qui l’eussent fixement regardée. Moi qui la suivais toujours par la ville, autant que son ombre, je n’y manquais pas encore à cette fois-là ; j’entrai avec elle chez un de ses parents, où elle exagéra la méchanceté et l’avarice de son mari, et dit pour conclusion qu’elle voulait être séparée. Le parent, qui entendait le tric-trac de la pratique, fit faire les procédures.

Enfin, parce qu’elle était amie du lieutenant civil de ce temps-là, duquel je ne veux rien dire, sinon qu’il était aussi homme de bien que les autres de son étoffe, elle fut séparée de biens.

Elle se tint donc toujours au logis où elle s’était retirée, et bien souvent de lestes mignons de ville la venaient visiter. Entre autres, il y en avait un d’assez bonne façon, qui comme je le reconduisais un soir dessus les montées avec une chandelle, essaya de me baiser. Je le repoussai un peu rudement, et vis bien qu’il s’en alla tout triste à cause de cela. Quelques jours après, il revint, et fit glisser dedans ma main quelques testonswkt, qui me rendirent plus souple qu’un gant d’Espagne ; non pas que je fusse prête à lui accorder la moindre faveur du monde, je veux dire seulement que j’avais une certaine bienveillance pour lui.

Je n’eusse pas pu croire qu’il me voulût tant de bien qu’il faisait, si une femme inconnue, que je rencontrai à la halle ne m’en eût assuré et ne m’eût dit que j’avais le moyen de me rendre la plus heureuse du monde, si je voulais aller demeurer avec lui. Je devais alors être bien