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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/92

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glorieuse et me croire bien plus belle que ma maîtresse, puisqu’un de ses pigeons sortait de son colombier pour venir au mien ; aussi je me souviens qu’elle avait été jalouse de moi, étant avec monsieur, et qu’elle n’avait pas voulu aller une fois aux champs, craignant qu’en son absence il ne me fît coucher au grand lit.

Vous riez, messieurs, de m’entendre parler de la sorte. Hé quoi, ne sauriez-vous croire que j’aie été belle ? Ne se peut-il pas faire qu’en un lieu de la terre, raboteux, plein d’ornières et couvert de boue, il y ait eu autrefois un beau jardin, enrichi de diverses plantes et émaillé de diverses fleurs ? Ne peut-il pas être aussi que ce visage ridé, couvert d’une peau sèche et d’une couleur morte, ait eu en ma jeunesse un teint délicat et une peinture vive ? Ignorez-vous la puissance des ans, qui ne pardonnent à rien ? Oui, oui, je puis dire qu’alors mes yeux étaient l’arsenal d’amour, et que c’était là qu’il mettait les foudres dont il embrase les cœurs. Si j’y eusse pensé alors, j’eusse fait faire mon portrait ; il m’eût servi bien à cette heure pour vous prouver cette vérité. Mais, las, en récompense, il me ferait plus jeter de larmes maintenant que mes amants n’en jetaient pour moi ; car je regretterais bien la perte des attraits que j’ai eus. Néanmoins, ce qui me console, c’est que tant que j’en ai été pourvue, je les ai assez bien employés, Dieu merci. Il n’y a plus personne en France, qui vous en puisse parler que moi ; tous ceux de ce temps-là sont allés marquer mon logis en l’autre monde.

Celle qui en savait le plus y est allée presque des premières ; c’est la dame Perrette, qui me vint accoster à la halle. Elle me donna autant de riches espérances qu’une