Aller au contenu

Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/94

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
68

avait hâte qu’elle eût accompli la charge qu’il lui avait donnée de me débaucher. Quand il me vit, il témoigna une allégresse extrême ; et, me trouvant toute résolue à faire ce qu’il voudrait, après avoir bien récompensé sa corratière, il me fit monter en une charrette, qui me porta jusques à un gentil logis qu’il avait aux champs.

Tout le temps que je fus là, s’il me traita, pendant le jour comme sa servante, il me traita la nuit en récompense comme si j’eusse été sa femme. Alors je sus ce que c’est que de coucher avec les hommes, et ne me fâchais que de ce que je n’avais pas plus tôt commencé à en goûter. Je m’y étais tellement accoutumée, que je ne m’en pouvais non plus passer que de manger et de boire ; de sorte qu’il fallait que je prisse tous les jours mes ordinaires repas, aussi bien par la bouche secrète que par celle qui se montre à tout le monde. Le malheur pour moi fut que mon La Fontaine devint malade et que son robinet ne versait plus d’eau qui me fût plaisante. Il me fut force de souffrir la figure du jeûne, encore que je couchasse toujours auprès de lui, parce qu’il disait qu’il m’aimait tant, qu’il lui semblait qu’en me touchant seulement un peu il trouvait de l’allègement en son mal ; mais tout cela ne rassasiait pas mon ventre affamé. Je fus contrainte de me laisser aller à la poursuite du valet, qui était si ambitieux, qu’il désirait être monté en pareil degré que son maître. Nous ne demeurâmes guère forger ensemble les liens d’une amitié lubrique, et je reconnus par effet qu’il ne faut point faire état de la braverie et de la qualité, lorsque l’on veut jouir des plaisirs de l’amour avec quelqu’un ; car celui-ci, avec