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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/96

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de ma main qui me payât de mes gages, et de faire un trou à la nuit[1], comme dit le proverbe. Je communiquai mon dessein à Marsaut, qui était notre valet, et le vis tout-à-fait disposé à me suivre. Mon maître, quelques jours après fut sollicité de prendre mille livres que l’on lui voulait donner pour racheter une rente de lui ; je les vis compter pièce à pièce, et fis tant, que je découvris que, n’étant guère bien meublé en sa maison, il s’était contenté de les serrer en son buffet.

La fortune me montrait un visage aussi riant que j’eusse su désirer ; car il fut prié d’aller souper en la ferme d’un gentilhomme champêtre, à une grande lieue de la sienne. Dès qu’il fut parti, Marsaut retourna le buffet, et, ayant levé un aiswkt du derrière, en tira la somme entière puis le raccommoda le mieux qu’il put. Ce qui nous était grandement favorable, c’est que c’était quasi toutes pièces d’or ; de sorte qu’il me fut facile de faire tenir tout dans une petite boîte.

Sur les neuf heures au soir, nous descendîmes dans le jardin pour sortir par la porte de derrière ; et déjà Marsaut était dehors, lorsque j’entendis que mon maître heurtait à la grande porte. J’eus si peur qu’il me surprît que je fermai celle du jardin, et m’en revins à la maison. Craignant d’être saisie avec l’argent que j’avais, je m’en allai le cacher la nuit dans une vigne qui était en notre clos, où je savais bien que l’on n’entrerait de longtemps. Le lendemain, mon maître, fouillant dedans son buffet et n’y trouvant plus le rachat de sa rente, mena un horrible bruit par tout le logis ; et, voyant que son valet s’était absenté dès le soir précédent, il n’eut point de soupçon

  1. ndws : « s’en aller sans dire Adieu, ou sans payer. » cf. éd. Roy, t. I, p. 73, qui cite Oudin, op. cit., p. 554.