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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/97

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que ce fût un autre que lui qui l’eût dérobé. Quant à moi, je pensai que Marsaut n’avait osé revenir au logis et qu’il m’attendait quelque part ; mais il ne me fut pas possible de le joindre sitôt, car j’avais perdu alors la résolution de m’en aller sans prendre congé. Enfin, je tâchai d’avancer l’affaire ; je dis à mon maître que j’avais appris qu’il était sur le point de se marier, et que, cela étant, je ne pouvais plus demeurer chez lui.

Après quelque feinte résistance, il s’accorda à m’en laisser sortir : il fut, je pense, bien aise de ce que j’en avais entamé la première la parole. J’allais donc un soir déterrer mon argent, et le lendemain, dès le matin, je partis. Avec ce que mon maître m’avait donné, je m’estimais grandement riche, et mon rendez-vous à Paris fut chez la bonne Perrette, qui me reçut très humainement. Lorsqu’elle su l’argent que j’avais, elle me conseilla de m’en servir pour en attraper davantage, et fit acheter des habits de demoiselle, avec lesquels elle disait que je paraissais une petite nymphe. Mon Dieu, que je fus aise de me voir leste et pimpante et d’avoir toujours auprès de moi des jeunes hommes qui me faisaient la cour ! Mais les dons qu’ils me faisaient n’étaient pas si grands que j’en pusse fournir à notre dépense qui était grande, tant de bouche que de louage de maison ; et puis Perrette avait voulu avoir le bonheur, aussi bien que moi, de traîner[1] la noblesse avant sa mort ; de sorte que je me voyais au bout de mes moyens et ne vivais plus que par industrie. La cour s’était éloignée pour quelque trouble, et, en son absence, notre misérable métier n’était pas tant en vogue qu’il nous pût nourrir splendidement.

  1. ndws : Traîner pour entraîner, séduire ; vieilli, cf. éd. Roy, t. I p. 75.