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Page:Sorel - L’Histoire comique de Francion, 1925.djvu/98

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Un soir, Perrette, ayant fait des plaintes avec moi là-dessus, ouït quelque bruit dans la rue. Sa curiosité la fit mettre à la porte, pour voir qui c’était ; et elle fut tout étonnée qu’un homme, en fuyant, lui mît entre les mains un manteau de velours doublé de pluche, sans lui rien dire. Je m’imagine que c’est qu’il la connaissait ; car sa renommée était assez épandue par la ville et dans toutes les académies d’amour : elle était la lumière des femmes de son état.

Le gage qu’elle reçut lui plut extrêmement, et nous nous mîmes à le découdre la nuit, de peur qu’il fût reconnu en le portant, le lendemain, à la friperie. Nous espérions que l’argent de cette vente subviendrait à nos urgentes nécessités ; mais voilà que l’on heurte à notre porte, un peu devant souper, comme nous devisions avec un honnête homme qui me venait voir souvent. La servante ouvre à trois grands soldats, qui demandaient à parler à la maîtresse du logis. Perrette descend pour savoir ce qu’ils veulent ; ils ne l’eurent pas sitôt envisagée, que l’un d’eux s’approcha d’elle et lui dit :

— Mademoiselle, je vous prie de me rendre le manteau que je vous baillai hier au soir en passant par ici.

Perrette lui nia qu’elle eût reçu un manteau de lui, et dit qu’elle ne le connaissait point pour prendre quelque chose en garde de sa main. Là-dessus, ils émurent un grand bruit qui me fit descendre pour en savoir la cause ; mais, dès que je fus en l’allée, je connus qu’un des trois qui demandaient le manteau était Marsaut. Je m’en retournai me cacher toute confuse, et tandis la querelle s’alluma tellement, que le commissaire du quartier, en