Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/103

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alors me fit tourner les yeux vers un autre endroit, où j’aperçus toutes les femmes que j’avois vues premièrement, lesquelles se moquoient de l’aventure qui m’étoit arrivée, et me disoient qu’au défaut de Laurette il falloit bien que je me passasse de l’une d’elles. J’en suis content, ce dis-je, çà, que celle qui a encore son pucelage s’en vienne jouer avec moi sur ce lit de roses. Ces paroles-ci causèrent encore de plus grands éclats de risée ; de sorte que je demeurai confus sans leur répondre. Venez, venez, me dit la plus jeune, ayant pitié de moi, nous vous allons montrer nos pucelages. Je les suivis donc jusques à un petit temple, sur l’autel duquel étoit le simulacre de l’amour, environné de plusieurs petites fioles, pleines d’une certaine chose que l’on ne pouvoit bonnement appeler liqueur. Elle étoit vermeille comme sang, et, en quelques endroits, blanche comme lait. Voilà les pucelages des femmes, ce me dit l’une, les nôtres y sont aussi parmi. Aussitôt qu’ils sont perdus, ils sont apportés en offrande à ce dieu, qui les aime sur toutes choses. Par les billets de dessus vous pouvez voir à qui ils ont appartenu, et qui sont les hommes qui les ont gagnés. Montrez-moi celui de Laurette, dis-je à une affétée, qui étoit auprès de moi. Le voilà, Francion, me dit-elle en m’apportant une fiole. Le voilà de fait, ce dis-je, son nom est écrit ici, mais je ne vois point celui du champion qui l’a eu. Apprenez, me répondit la belle, que, quand l’on perd son pucelage, n’étant point mariée, le nom de celui à qui l’on l’a donné ne se met point, parce que l’on veut tenir cela caché ; d’autant que, quelque-fois la nature nous pressant, il nous le faut bailler au premier venu, qui, ne le méritant pas, nous serions honteuses si l’on le savoit. De là, vous pouvez conjecturer que votre Laurette n’a pas attendu jusques au jour de son mariage à faire cueillir une fleur entièrement éclose, laquelle se fut fanée sans cela, et ne lui eût point apporté de plaisir. Allons, Francion, continua-t-elle, voici un autre temple non moins beau que celui-ci. En achevant ces paroles, elle me fit entrer dans un temple tout joignant, où je vis sur l’autel la statue de Vulcain qui portoit des cornes d’une toise de haut. Toutes les murailles étoient couvertes d’armoiries semblables. Est-ce quelque veneur qui vient ici attacher en trophée les bois de tous les cerfs qu’il prend ? dis-je à ma guide. Non, non, me