Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/113

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tous, et, qui plus est, vous serez immortalisé, car les registres, que l’on garde éternellement, feront mention de vous. Davantage les héritiers que vous aurez, possédant le bien pour lequel vous prenez tant de peine maintenant, béniront votre ménage, et prieront Dieu pour vous tout le temps de leur vie. Ceci vous doit ôter la considération d’un petit ennui passager qui vous dégoûte de poursuivre votre pointe. Je vous conseille donc, pour conclure, de ne point donner de repos à votre partie et de ne point faire d’accord, quand elle vous en parleroit. Il n’est que d’avoir un arrêt entièrement définitif. Ne craignez point qu’il ne soit donné à votre profit ; car vous avez une cause infiniment bonne.

Là-dessus il prenoit Barthole et Cujas par les pieds et par la tête, et citoit des lois de toutes sortes de façons, pour prouver le bon droit de mon père, qui crut tout ce qu’il lui disoit, ne sçachant pas qu’il étoit en un lieu où l’on s’entendoit des mieux à supposer de faux titres, à ne se souvenir que des raisons de ceux que l’on affectionnent, et à juger les procès dessus l’étiquette. L’on lui adressa un jeune procureur de la nouvelle crue, que je m’assure avoir baillé de l’argent pour le faire recevoir (je sçais bien à qui), car il n’y avoit pas apparence que ce fut la grande connoissance des affaires du palais qui lui eût fait obtenir la permission de postuler. Néanmoins, il n’étoit pas si ignorant qu’il ne sçût bien de quelle sorte il falloit accroître son talent ; et certes il étoit si bon procureur, qu’il procuroit plutôt pour lui-même que pour autrui. Mon père étoit en une très-mauvaise main ; car cet homme-ci se laissa gagner par sa partie, afin de faire double profit, et, au lieu d’avancer l’affaire, il la retardoit, malgré que mon père en eût, lui faisant accroire que toutes les procédures inutiles qu’il faisoit étoient nécessaires. Ses plus ordinaires discours n’étoient que d’argent, dont il assuroit toujours qu’il lui étoit besoin pour faire beaucoup de frais, encore qu’il n’en fallût faire que fort peu : mon père ne laissoit pas pourtant de lui en donner autant qu’il en demandoit, afin de l’induire à apporter plus de diligence en son affaire.

D’un autre côté, l’avocat faisoit des écritures où il ne mettoit que deux mots en une ligne, pour gagner davantage, et, afin de les enfler très-bien, son clerc usoit d’une certaine orthographe où il se trouvoit une infinité de lettres inutiles ; et