Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/114

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croyez qu’il étoit bien ennemi de ceux qui veulent que l’on écrive comme l’on parle, et que l’on mette pied sans un d, et devoir sans un b. Outre cela, il usoit d’un certain caractère majuscule rempli de longs traits qui faisoient qu’en une ligne il n’y avoit que deux mots ; et le pire étoit qu’il n’y avoit rien que des discours frivoles qui n’éclaircissoient point la matière. Or cet avocat avoit cette gentille coutume que, quand il avoit quelque chose à acheter, il acquéroit, sur les premiers contredits que l’on lui donnoit à faire, tout l’argent qui lui étoit de besoin ; car il songeoit auparavant combien il étoit nécessaire qu’il fit de rôles, et il falloit qu’il les emplît après, quand c’eût été d’une chanson[1]. Mon père ne se put tenir de lui dire un jour, en lui payant de pareilles écritures, que tout ce qu’il avoit fait ne servoit de rien ; que, pour lui, il en eût autant fait, et possible davantage, encore qu’il ne fût pas du métier, et qu’aussi bien étoit-ce une chose vaine d’alléguer toutes les lois qui y étoient, vu qu’il étoit certain que la cour n’y avoit jamais égard. Il prit ceci au point d’honneur, et une grosse querelle s’émut entr’eux. Mon père, afin de le moins offenser, fit d’une attaque particulière une attaque générale, et se mit à parler contre la bande entière des praticiens, qu’il déchiffra d’une terrible façon : Quelle vilenie, disoit-il entre autres choses, que ces gens-ci exercent publiquement leurs brigandages ! Ils ont trouvé mille subtilités pour faire que les biens dont il s’agit n’aillent pas à une des parties, mais demeurent à eux seulement. Les hommes sont-ils si sots que de se laisser tirer par ces sangsues ? Ne voient-ils pas bien que tant de procédures fagotées ensemble ne se font que pour les tromper ? À quoi servent toutes ces choses, qui ne rendent pas les causes moins obscures ? Que ne juge-t-on dès l’instant que les plaideurs comparoissoient ? Encore, ce qu’il y a de pire, c’est qu’en toutes ces juridictions il y a diverses manières de procéder : je voudrois bien sçavoir pourquoi. Car que ne me prend-on partout celle qui est la meilleure et la plus courte ? Il faut que je m’imagine que c’est

  1. Nous avons vu, il y a quelque quinze ans, un clerc d’avoué introduire dans une requête, pour rallonger, quelques pages d’un roman de Paul de Kock. La page de la requête est taxée à deux francs ; elle se compose de vingt-cinq lignes, et la ligne est de douze syllabes. — La vieille chicane a la vie dure.