Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/129

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tout cela n’étoit que fiction, je disois que l’on avoit tort néanmoins d’en censurer la lecture, et qu’il falloit faire en sorte que dorénavant l’on menât un pareil train de vie que celui qui étoit décrit dedans mes livres : là-dessus je commençois déjà à blâmer les viles conditions où les hommes s’occupent en ce siècle, lesquelles j’ai aujourd’hui en horreur tout à fait.

Cela m’avoit rendu méchant et fripon, et je ne tenois plus rien du tout de notre pays, non pas même les accens, car je demeurois avec des Normands, des Picards, des Gascons et des Parisiens, avec qui je prenois de nouvelles coutumes : déjà l’on me mettoit au nombre de ceux que l’on nomme des pestes, et je courois la nuit dans la cour avec le nerf de bœuf dans les chausses, pour assaillir ceux qui alloient aux lieux, pour parler par révérence. J’avois la toque plate, le pourpoint sans boutons, attaché avec des épingles ou des aiguillettes, la robe toute délabrée, le collet noir et les souliers blancs, toutes choses qui conviennent bien à un vrai poste[1] d’écolier ; et qui me parloit de propreté se déclaroit mon ennemi. Auparavant, la seule voix d’un maître courroucé m’avoit fait trembler autant que les feuilles d’un arbre battues du vent ; mais alors un coup de canon ne m’eût pas étonné. Je ne craignois non plus le fouet que si ma peau eût été de fer, et exerçois mille malices, comme de jeter, sur ceux qui passoient dans la rue du collège, des pétards, des cornets pleins d’ordures, et quelquefois des étrons volans. Une fois, je dévallois par la fenêtre un panier attaché à une corde, afin qu’un pâtissier qui étoit en bas, à qui j’avois jeté une pièce de cinq sols, mît dedans quelques gâteaux ; mais, comme je le remontois, mon maître, qui étoit à mon desceu dans une chambre de dessous, le tira à lui en passant, et ne le laissa point aller qu’il ne l’eût vidé. Je descendis en bas pour voir qui m’avoit fait cette supercherie, et, trouvant ce pédant sur le seuil de la porte, je reconnus que c’étoit lui, et n’en osai pas seulement desserrer les dents. Ô le grand crèvecœur que j’eus ! il me commanda tout à l’heure d’aller prier un autre maître, son voisin, de venir goûter avec lui : je m’y en allai, et le ramenai avec moi jusque dans sa chambre, où je ne vis point d’autres

  1. Vaurien,