Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/174

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pour un badaud, donna une telle secousse à mon chapeau en le tenant par le bord, qu’il le fit tourner plus de huit fois à l’entour de ma tête : je lui eusse bien montré à quelle personne il se jouoit, n’eût été que je vis derrière lui dix ou douze laquais avec le bâton et l’épée, qui faisoient mine d’être là pour le défendre. Néanmoins je lui dis qu’il avoit tort de me toucher, vu que je ne l’avois jamais offensé. Alors lui et ses compagnons ouvrirent la bouche quasi tous ensemble, pour m’appeler bourgeois ; c’est l’injure que cette canaille donne à ceux qu’elle estime niais, ou qui ne suivent point la cour. Infamie du siècle ! que ces personnes, plus abjectes que je ne sçaurois dire, abusent d’un nom qui a été autrefois et est encore en d’aucunes villes si passionnément envié. Toutefois, sçachant qu’ils ne me le bailloient que pour injure, je pris la hardiesse de leur dire qu’ils regardassent de plus près à qui s’adressoient leurs paroles, et que je n’étois pas ce qu’ils pensoient. En m’entourant à cette heure-là, ils me demandèrent, avec des risées badines et hors de propos, qu’est-ce que j’étois donc, si je n’étois bourgeois. Je suis ce que vous ne serez jamais, leur répondis-je, et que vous ne désirez pas possible d’être ; d’autant que vous n’avez pas assez de courage pour le faire. De parler ainsi à ces ignorans, c’étoit leur parler grec ; et je me repentis bien de m’être amusé à des bêtes brutes contre lesquelles on ne se doit point courroucer, encore qu’elles nous baillent quelque coup de pied, parce qu’elles sont privées de raison et n’ont pas le sentiment, quand on les châtie, de connoître que c’est afin qu’elles n’y retournent plus.

Cette considération m’étant venue en l’esprit, je me retirai à quartier ; mais la maudite engeance, pensant être offensée par les dernières paroles que j’avois dites, s’en vint me persécuter. Le page, faisant semblant de vouloir frapper contre la terre avec son bâton, me frappoit bien serrément sur les pieds, et il falloit qu’à tous coups je les levasse comme si j’eusse été à courbette. Les laquais, en niaisant, venoient aussi me faire des algarades, et même il y en eut un d’entre eux qui dit qu’il me falloit bailler des seaux. À cette parole, démesurément irrité, je me laissai emporter à mes premiers mouvemens, et leur dis en me retirant tout d’un coup, et après avoir juré comme un charretier embourbé : Venez-vous-