Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/203

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tes et tant traverser de chambres, que je croyois que ce ne seroit jamais fait. Je trouvois de la difficulté partout, et mon passeport m’étoit bien nécessaire. Outre cela, la presse étoit si grande, qu’elle me défendoit autant l’entrée comme les archers ; enfin, je me trouvai dans cette longue galerie de Bourbon, qui jette sur la rivière, où il se fallut arrêter.

Il y avoit là force courtisans qui désiroient sçavoir ce que je portois, et, comme ils voyoient ces papiers bien pliés en long, ainsi que pourroit être du linge, il y en avoit de si ignorans, qu’ils me venoient demander : Le roi va-t-il souper ? Sont-ce là des serviettes que tu portes ? Je leur répondis que c’étoient des vers pour le ballet. Alors un, qui faisoit l’entendu, s’en vint dire : Ce sont des placards ; et, à toutes les fois que je passois et repassois, pour chercher quelque place à me mettre, il y avoit un autre qui disoit niaisement, et pensant dire un bon mot : Ce sont des papiers ; voilà des papiers. Ces paroles étoient accompagnées d’un mépris qui me fit connoître que, quelque chose de bien fait que pussent voir ces brutaux, ils prenoient tout pour des rogatons, et que les sciences leur étoient si fort en horreur, qu’ils avoient mal au cœur quand ils voyoient seulement un papier, et en tiroient le sujet de leurs moqueries. Mais, quoi que ce soit, mes papiers me servirent bien, en ce que, n’y ayant là que les quatre murailles, je m’assis dessus, et je voyois beaucoup de seigneurs debout qui enfin, ne sçachant plus quelle contenance tenir, étoient contraints de s’asseoir sur leur cul comme des singes.

Après que j’eus été là quelque temps, l’on ouvrit une porte par où l’on alloit à la salle de Bourbon ; la foule étoit si grande pour y entrer, que je m’imaginois que l’on nous eût mis tous en un pressoir pour en tirer la quintessence. Toutefois nous parvînmes enfin tout entiers jusqu’à la salle du ballet, où je trouvai toutes les places prises ; si bien que je ne sçavois de quel côté me tourner. Je nuisois à tout le monde, personne ne vouloit de moi : l’un me poussoit, aussi faisoit l’autre ; tellement que je croyois que mon corps fût devenu ballon, puisque l’on s’en jouoit ainsi. Un archer de ma connoissance me tira de peine, et, m’ayant fait mettre sur l’échafaud des violons en attendant le ballet, me dit qu’il faudroit bien que l’on me fît place, malgré que l’on en eût, lorsqu’il seroit com-