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Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/21

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revêtit : tous ses gestes et toutes ses paroles ne témoignèrent rien que de l’allégresse en remontant sur le bord des fossés. Voici le plus fort de cette besogne achevé, dit-il ; plaise à Dieu que je puisse aussi facilement m’acquitter de celle de mon mariage ; je n’ai plus qu’à faire deux ou trois conjurations à toutes les puissances du monde, et puis tout ce qu’on m’a ordonné sera accompli. Après cela, je verrai si je serai capable de goûter les douceurs dont la plupart des autres hommes jouissent. Ah ! Laurette, dit-il en se retournant vers le château, vraiment tu ne me reprocheras plus, les nuits, que je ne suis propre qu’à dormir et à ronfler. Mon corps ne sera plus dedans le lit auprès de toi comme une souche ; désormais il sera si vigoureux, qu’il lassera le tien, et que tu seras contrainte de me dire, en me repoussant doucement, avec tes mains : Ah ! mon cœur, ah ! ma vie, c’est assez pour ce coup. Que je serai aise de t’entendre proférer de si douces paroles, au lieu des rudes que tu me tiens ordinairement ! En faisant ce discours, il entra dans un grand clos plein de toute sorte d’arbres, où il déploya le paquet qu’il avoit apporte de son logis. Il y avoit une longue soutane noire, qu’il vêtit par-dessus sa robe de chambre ; il y avoit aussi un capuchon de campagne, qu’il mit sur sa tête, et il se couvrit tout le visage d’un masque de même étoffe, qui y étoit attaché. En cet équipage, aussi grotesque que s’il eut eu envie de jouer une farce, il recommença de se servir de son art magique, croyant que, par son moyen, il viendroit à bout de ses desseins.

Il traça sur la terre un cercle dedans une figure triangulaire, avec un bâton dont le bout étoit ferré ; et, comme il étoit prêt à se mettre au milieu, un tremblement lui prit par tous les membres, tant il étoit saisi de peur à la pensée qui lui venoit que les démons s’apparoîtroient bientôt à lui. Il eût fait le signe de la croix, n’eût été que celui qui lui avoit enseigné la pratique de ces superstitions lui avoit défendu d’en user en cette occasion, et lui avoit appris à dire quelques paroles pour se défendre de tous les assauts que les mauvais esprits lui pourroient livrer. Le désir passionné qu’il avoit de parachever son entreprise, lui faisant mépriser toute sorte de considérations, le contraignit à la fin de se mettre à genoux dedans le cercle vers l’Occident. Vous, démons, qui