Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/214

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levâmes pour quelque temps, continuant toujours notre entretien ; mais aussitôt elles sortirent de leur banc et se vinrent mettre à notre place. Moi, qui suis soupçonneux au possible en ces affaires-là, je crus qu’infailliblement elles faisoient cela pour me faire déloger et me contraindre d’aller m’asseoir plus loin, afin de n’être plus importunées de mes discours. Incontinent je m’éloignai, pour montrer que je les révérois tant que j’étois bien marri de leur déplaire. Néanmoins je vous confesse que j’étois infiniment en courroux : car le mépris qui me sembloit que Diane avoit fait paroître envers moi, en me déplaçant, m’étoit infiniment sensible ; et même, en l’excès de ma passion, je vins jusqu’à dire qu’elle n’avoit que faire d’être si glorieuse, que j’étois pour le moins autant qu’elle, et que ce lui étoit un bonheur de me posséder, moi qui devois jeter les yeux sur des filles de plus grande maison qu’elle.

Toute la nuit je ne fis que rêvasser là-dessus, et n’eus point de repos jusques à tant que j’eusse parlé au cousin de Diane, à qui je me plaignis de l’injure qui m’avoit été faite, ayant presque les larmes aux yeux. À l’heure il se prit à rire si fort, qu’il redoubla mon ennui, me faisant croire qu’il se moquoit de moi. Mais voici comme il m’apaisa : Mon cher ami, dit-il en m’embrassant, vous avez tort d’être si soupçonneux que de vous imaginer que Diane vous ait méprisé, commettant une incivilité éloignée de son naturel ; vous ririez trop si vous sçaviez la cause de votre aventure : je me souviens qu’hier au soir, étant de retour du salut, Diane se plaignit à la servante de ce qu’il y avoit eu quelque gueux qui avoit fait de l’ordure dedans son banc. Ce fut cela qui l’en fit sortir ; mais la poudre de Cypre dont vous étiez couvert vous empêcha de sentir une si mauvaise odeur.

Cette nouvelle me contenta tout à fait, et j’eus pourtant la curiosité d’aller en l’église, voir si l’on ne me donnoit point une baste[1] : je trouvai encore l’ordure dans le banc, que l’on n’avoit pas nettoyé, et la vue de cette infection me plut davantage que n’eût fait celle des plus belles fleurs, à cause que, par ce moyen, j’étois délivré d’une extrême peine. Lorsque Diane sçut mon soupçon, je pense qu’elle ne put se gar-

  1. De l’italien bastare, plaisanter.