Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/258

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trouvent, disons aussi qu’il n’a pas été hors de propos de mettre ici quelque chose de leur méchante vie, parce que cela les rendra plus haïssables, et que ceux qui liront ceci les fuiront bien plus que ne faisoit Francion. Lorsqu’il eut fini son petit repas, il parla de la sorte que l’on peut voir au discours suivant.

Bien que les ardeurs de ma jeunesse me poussassent à la débauche, comme je vous ai dit, je ne laissois pas de songer à mon avancement. J’avois été voir ma mère en Bretagne, où elle m’avoit fait de belles leçons. Je m’avisai qu’il falloit me mettre aux bonnes grâces d’un certain favori du roi qui me pouvoit beaucoup plus avancer que Clérante. Je m’acquis la connoissance de trois ou quatre de ses plus proches parens, et leur témoignai le désir que j’avois de rendre du service à toute leur race. Du commencement, pour me payer de la peine que je prenois à les courtiser, ils me promirent de me faire obtenir infailliblement une certaine charge que je désirois, laquelle étoit au pouvoir de Praxitèle (vous sçavez bien que celui-là a autrefois été chéri du roi) ; mais, comme je les voulus sommer de leurs promesses, jamais je ne trouvai rien si froid qu’eux. Je pense que leur âme étoit ladre, et que l’on avoit beau les piquer avec les prières et les remontrances, ils n’en sentoient aucune chose. Je vous dirai, en vérité, que je crois que leur bonne fortune les avoit fait devenir à moitié fols, ou bien qu’ils feignoient de l’être. Si je leur parlois d’une chose, ils me mettoient sur une autre ; et, s’ils étoient contraints de me répondre sur mon affaire, ils me la faisoient si difficile que rien plus.

J’avois fait un discours où j’essayois de prouver que le mérite de Praxitèle étoit aussi grand que sa prospérité ; mais ils ne voulurent pas que je le montrasse à personne, et cela, disoient-ils, se faisoit par un coup d’État, d’autant qu’ils craignoient que cela ne fît accroître l’envie que l’on portoit à leur fortune. Qui ne jugera que c’étoit qu’ils reconnoissoient que leur parent nétoit pas digne de tant de louanges, comme je lui en donnois, et que, mes flatteries étant trop visibles, elles eussent plutôt incité le peuple à se moquer de lui qu’à le respecter ? Je me suis bien repenti, depuis, de lui avoir tant fait d’honneur que d’écrire pour lui, et j’ai cru que, si le ciel ne me favorisa en ce que je prétendois, ce fut pour me punir d’a-