Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/278

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Après ce propos, il ne trouva plus de résistance, et fit d’elle tout ce qu’il voulut : ils passèrent ensemble deux bonnes heures ; et, comme je regardois voler nos oiseaux dans une grande prairie, je vis ouvrir la porte du jardin ; je courus aussitôt vers cet endroit, et arrivai lorsqu’ils s’entredisoient adieu. Eh bien, madame, monsieur est-il valeureux ? ce dis-je. Oui, certes, répondit-elle ; toujours la victoire sera balancée entre nous deux, et tant que nous reprendrons de nouvelles forces, si bien que tantôt l’un et tantôt l’autre aura l’avantage.

Nous prîmes congé d’elle, ayant eu cette gentille conclusion, et ne cessâmes tout du long du chemin d’admirer son esprit, dont Clérante me donna encore beaucoup de preuves, me racontant tous les propos qu’elle lui avoit tenus en mon absence. Je rendis grâces à l’amour de la bonne fortune qu’il avoit eue.

Quelque temps après, l’on lui écrivit des lettres pour le faire venir à la cour ; il fut contraint d’y aller, malgré les sermens qu’il avoit faits de n’y plus retourner, et, voyant que c’étoit une nécessité qu’il y demeurât, je fis ce que je pus pour la lui faire trouver agréable.

Il est d’un naturel fort ambitieux, et le dessein qu’il avoit eu de mener une vie privée ne dérivoit que de ce qu’il n’avoit pas la puissance de se mettre dans les affaires de l’État. Voilà pourquoi, ayant acquis les bonnes grâces du roi autant que pas un, il ne se soucia plus guère d’être en son particulier, et, n’aspirant qu’aux grandes charges, il chérit plus la cour qu’il ne l’avoit haïe ; de sorte que je me vis à la fin délivré de la peine de la lui faire paroître plaisante.

Il procuroit tant qu’il pouvoit mon avancement, et m’avoit rendu agréable au roi, qui me connoissoit dès longtemps. J’avois aidé à l’entreprise, en tenant ordinairement à ce monarque des discours où il remarquoit une certaine pointe d’esprit qui lui donnoit beaucoup de délectation. Pensez-vous que je fusse plus glorieux, et que je m’estimasse davantage, pour approcher tous les jours près de sa personne ? Je vous jure qu’il ne s’en falloit guère que cela ne me fût indifférent. Je ne suis pas de l’humeur de ces bons Gaulois, dont l’un se vantoit qu’il avoit approché si près de son roi, en une certaine cérémonie, que le bout de son épée touchoit à son haut de