Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/292

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J’étois marri de m’être embarrassé dans cette querelle par une trop grande liberté de parler ; car il n’y a homme si foible et si impuissant qui ne puisse beaucoup nuire, s’il a le courage méchant et traître, de sorte que je connus bien dès lors que, pour se mettre l’esprit en repos, il falloit tâcher de ne désobliger personne, et se rendre d’une humeur douce et complaisante, principalement à la cour, où il y a des esprits mutins qui ne sçauroient souffrir que l’on dise leurs vérités. Toutefois j’avois envie de sortir à mon honneur de cette affaire ; et, comme j’eus rencontré Bajamond à quelque temps de là, je lui dis : Comte, avez-vous oublié les vertus qu’un homme comme vous, qui fait profession de noblesse, doit ensuivre ? Comment, vous voulez faire assassiner la nuit vos ennemis par des voleurs ; ne sçavez-vous pas bien qui je suis, et qu’il ne me faut pas traiter de cette façon ? Quand je serois même le plus infâme de tout le peuple, le devriez-vous taire ? Si nous avons quelque querelle, nous la pouvons vider ensemble, sans nous aider du secours de personne. Bajamond, se sentant piqué, parce que je lui reprochois son crime, et voulant témoigner qu’il avoit une âme généreuse, me repartit que, quand je voudrois, je lui ferois raison de l’avoir offensé tout présentement, et encore bien plus grièvement par le passé. Je lui dis que ce seroit le lendemain hors de la ville, en un lieu que je lui désignai. Il me fâchoit fort de combattre contre ce traître, qui avoit donné des marques d’une âme lâche et poltronne, et m’étoit avis que je n’acquérerois pas grand honneur à le vaincre. Toutefois je me trouvai l’après-dînée hors de la porte Saint-Antoine, ayant grande hâte de sortir de cette affaire. Enfin, il arriva avec un gentilhomme qui étoit bien autant mon ami que le sien, et qui pourtant n’employa point ses efforts pour nous accorder, d’autant qu’il avoit une âme toute martiale, et qu’il étoit bien aise de nous voir en état de nous battre, espérant qu’il sçauroit lequel avoit le plus de vaillance de nous deux. Bajamond l’avoit amené, croyant que j’eusse aussi quelqu’un pour me seconder ; mais, trouvant que je n’avois personne, il fut contraint de le prier d’être seulement spectateur de notre combat. Nous étions sur le chemin de Charenton, et nous allions toujours pour trouver quelque lieu retiré où nous pussions accomplir notre dessein, lorsque Léronte vint à passer dedans son car-