Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/300

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monde. Le seigneur du château dit alors à Francion qu’il ne se devoit plaindre d’aucune chose passée, et qu’il s’étoit retiré de toutes sortes d’accidens avec une merveilleuse dextérité. Après ce discours, il examina en bref tout ce qu’il lui avoit raconté à diverses fois, le remettant même sur l’histoire de sa jeunesse ; et, lui ayant parlé de ce Raymond qui lui avoit dérobé son argent, il lui dit qu’il avoit sçu d’un de ses gens qui il étoit, et qu’il ne demeuroit pas loin de son château, si bien qu’ils le pourroient aller visiter aisément quand ils voudroient. Ne me parlez point de lui, répondit Francion. Mon Dieu ! je n’ai garde d’aller voir cet homme-là : puisque, dès sa jeunesse, il s’est accoutumé à dérober, il est d’un très-mauvais naturel ; je n’ai que faire de lui, ni de sa fréquentation. C’est moi qui suis Raymond, dit le seigneur en se levant tout en colère et jurant doctement ; vous vous repentirez de ce que vous avez dit. Achevant ces paroles, il sortit de la chambre et ferma rudement la porte. Francion, qui ne l’avoit point reconnu, fut bien marri des propos qu’il lui avoit tenus, et s’étonna néanmoins comment il se fâchoit pour si peu de chose.

Le maître d’hôtel ne vint que longtemps après lui faire apporter son dîner, et lui dit que son maître étoit tellement en courroux contre lui, que, vu son naturel fort sévère, il devoit craindre, étant au desçu de tout le monde dedans son château, qu’il ne prît une grande vengeance des offenses qu’il lui avoit faites.

Francion ne cessa tout le long du jour d’avoir une infinité de pensées là-dessus, et attendoit avec grande impatience que l’on lui rapportât quelle résolution Raymond avoit prise touchant ce qu’il feroit de lui. Le maître d’hôtel lui promit de lui en dire le lendemain de certaines nouvelles. Il ne manqua donc pas à le venir retrouver, selon qu’il lui avoit promis, et lui assura que son maître avoit conçu une plus forte haine contre lui depuis le jour précédent, pour quelque avertissement qu’il avoit eu soudain ; de sorte qu’il s’imaginoit qu’il avoit résolu de le faire mourir. Francion se mit longtemps à songer quelle offense il avoit pu faire à Raymond, et, n’en trouvant point, il fut le plus étonné du monde. La plaie de sa tête étoit entièrement guérie, il n’y avoit que son âme qui souffroit du mal. Il se voulut lever pour aller sçavoir de Raymond quel tort il lui avoit fait et pour lui dire que, s’il