Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/303

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dirai, par similitude, que je montre un beau palais qui par dehors a l’apparence d’être rempli de liberté et de délices, et au dedans duquel l’on trouve néanmoins, lorsque l’on n’y pense pas, des sévères censures, des accusateurs irréprochables, et des juges rigoureux. L’on a vu ici des fables et des songes qui sembleront sans doute pleins de niaiseries à des ignorans qui ne pourront pas pénétrer jusques au fond. Mais, quoi que c’en soit, ces rêveries-là contiennent des choses que jamais personne n’a eu la hardiesse de dire. Je cache ainsi les mauvaises actions des personnes d’autorité, parce que l’on n’aime pas aujourd’hui à voir la vérité toute nue, et je tiens pour maxime qu’il faut se taire quelquefois afin de parler plus longtemps, c’est-à-dire qu’il est bon de modérer sa médisance en de certaines saisons, de peur que les Grands ne vous mettent en peine et ne vous fassent condamner à un éternel silence. J’aime mieux perdre mes bons mots que mes amis ; et, bien que je sois satirique, je tâche de l’être de si bonne grâce, que ceux mêmes que je contrôle ne s’en puissent offenser. Mais, quand je pense plus mûrement à mon ouvrage, ne me semble-t-il pas qu’après tout cela encore ne sera-t-il pas chéri ? J’ai déjà soupçonné qu’il ne serviroit de rien à réformer les vicieux ; ne me dois-je pas douter aussi qu’il ne leur apportera point de contentement ? De tous les esprits que je connois il y en a fort peu qui soient assez sains pour en juger, et les autres ne s’amusent qu’à reprendre des choses dont ils ne sont pas capables de remarquer les beautés. Quand on met un livre en lumière, il faudroit faire tenir des Suisses en la boutique du libraire, pour le défendre avec leurs hallebardes ; car il y a des fainéans qui ne s’amusent qu’à aller censurer tout ce qui s’imprime, et croient que c’est assez, pour se faire estimer habiles hommes, de dire : Voilà qui ne vaut rien, encore qu’ils n’en puissent rendre raison. Chacun veut à cette heure-ci faire du bel esprit, bien que l’on n’ait jamais vu tant d’ignorance, comme il y en a en ce siècle ; et un écolier n’est pas sitôt hors du péril des verges, qu’ayant lu trois ou quatre livres françois il en veut faire autant, et se croit capable de surpasser les autres. Cela ne seroit rien, si l’on ne méprisoit point autrui pour se mettre soi-même en estime ; mais l’on laisse à part toute modestie, et l’on s’efforce de trouver des défauts où il n’y en a point. Pour moi, quand