Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/31

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passe ici la nuit, puisque monsieur n’y est pas. Je dormirai mieux sur cette chaise que sur mon lit, et si je ne vous incommoderai point ; car, au contraire, je vous y servirai beaucoup, en vous donnant incontinent tout ce qui vous sera nécessaire. Non, non, dit Laurette, retourne-t’en en ta chambre, je n’ai que faire de toi ; et, puisque j’ai de la lumière, je n’aurai plus de crainte. Ce n’est que dans les ténèbres que je m’imagine, en veillant, de voir tantôt un chien, tantôt un homme noir, et tantôt un autre fantôme encore plus effroyable. Mais vraiment, interrompit Catherine, en faisant la rieuse, vous avez un mari bien dénaturé. Eh Dieu ! comment est-ce qu’il s’est pu résoudre à vous quitter cette nuit-ci, ainsi qu’il a fait ? Où est-il donc ? Est-il allé prendre des grenouilles à la pipée ? Pour moi, je vous confesse que, toute fille que je suis, je me trouve plus capable de vous aimer que lui. Allez, allez, vous êtes une sotte, dit Laurette : quoi ! les premiers jours que vous avez été céans vous avez bien fait l’hypocrite ; à qui se fiera-t-on désormais ? Ce que je dis n’est-il pas vrai ? reprit Catherine. Eh ! que seroit-ce donc si je vous avois montré par effet que je suis même fournie de la chose dont vous avez le plus besoin, et que Valentin ne peut pas mieux que moi vous rendre contente ? vous auriez bien de l’étonnement. Vraiment, voilà de beaux discours pour une fille, dit Laurette. Allez, mamie, vous êtes la plus effrontée du monde ou vous vous êtes enivrée ce soir ; retirez-vous, que je ne vous voie plus. Que c’est une chose fâcheuse que ces gens-ci ! autant de serviteurs, autant d’ennemis ; mais quoi, c’est un mal nécessaire.

Catherine, qui étoit entrée en humeur, ne se souciant pas de l’opinion que sa maîtresse pourroit, avoir d’elle, s’en approcha pour la baiser et lui faire voir après qu’elle ne s’étoit vantée d’aucune chose qu’elle n’eût moyen d’accomplir. Elle s’imaginoit qu’aussitôt qu’elle auroit montré à Laurette ce qu’elle étoit, elle concevroit de la bienveillance pour elle et ne chercheroit que les moyens de la pouvoir souvent tenir entre ses bras. Mais Laurette, sçachant bien ce qu’elle sçavoit faire, l’empêcha de parvenir au but de ses desseins, et la poussa hors de sa chambre, en lui donnant, deux ou trois coups de poing, et lui disant force injures.

Tout leur discours avoit été entendu d’Olivier, qui sortit