Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/319

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point de plaisir qui m’enchante comme fait celui de la musique. Mon cœœur bondit à chaque accent, je ne suis plus à moi. Ces tremblemens de voix font trembler mignardement mon âme ; mais ce n’est pas une merveille, car mon naturel n’a de l’inclination qu’au mouvement ; je suis toujours en une douce agitation. Mon esprit et mon corps tremblent toujours à petites secousses : l’on en a vu tantôt une preuve ; car à peine ai-je pu tenir mon verre dedans ma main, tant j’avois de tremblement en tout mon bras. Ce que je sçais le mieux faire sur le luth, ce sont les tremblemens. Aussi je ne touche ce beau sein qu’en tremblant ; mon souverain plaisir, c’est de frétiller ; je suis tout divin, je veux être toujours en mouvement comme le ciel. Ayant dit ces paroles, il prit le luth d’un des musiciens, et, les dames l’ayant prié de montrer ce qu’il sçavoit faire, il commença de le toucher, et chanta en même temps un air dont je n’ai garde de manquer à mettre ici les paroles. Je suis historien si véritable, que je ne sçais ce qui me tient que je n’en mette aussi la note, afin de n’oublier aucune circonstance, et que le lecteur sçache tout. Cela ne me seroit pas difficile ; car je ne mets point dans mes livres des vers qui n’aient un air véritablement, et je ne fais pas comme ceux qui mettent des sonnets pour des chansons, sans sçavoir s’ils se peuvent chanter ou non. Or assurez-vous que, si la mode étoit venue de mettre de la musique et de la tablature de luth dans les romans, pour les chansons que l’on y trouve, ce seroit une invention qui les feroit autant valoir, pour le moins, que ces belles images dont les libraires les embellissent aujourd’hui, afin de les vendre davantage. Mais, en attendant qu’il m’ait pris fantaisie de faire la règle aux autres, apprenez de la voix commune l’air de la chanson de Francion, et contentez-vous pour cette heure des paroles que voici :

Apprenez, mes belles âmes,
À mepriser tous les blâmes
De ces hommes hébétés,
Ennemis des voluptés.
Ils ont mis au rang des vices
Les plus mignardes délices,
Et fuyant leurs doux appas
En vivant ne vivent pas.