Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/323

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tion à toutes les choses qu’il ne trouveroit pas bien nommées, et l’on lui dit, pour l’y convier, que cela feroit voler son nom par toute la France encore davantage qu’il ne faisoit, à cause que chacun seroit fort aise de sçavoir l’auteur de ces nouveautés, desquelles l’on ne parleroit jamais sans parler de lui. Francion s’en excusa pour l’heure, et dit que possible, en quelque grande assemblée de braves qu’il seroit, il seroit entièrement résolu de cela. En outre, il jura que, dès qu’il auroit le loisir, il composeroit un livre de la pratique des plus mignards jeux de l’amour.

Cet entretien fini, plusieurs hommes et plusieurs femmes, qui ne désiroient pas de coucher au château de Raymond, prirent congé de lui, et s’en retournèrent en leur logis. Ceux qui demeurèrent se retirèrent bientôt deux à deux dedans les chambres : Francion fut avec Laurette, Raymond fut avec Hélène, et les autres avec celles qui leur plaisoient davantage. Je n’entreprends pas ici de raconter leurs plaisirs infinis, ce seroit un dessein dont je ne verrois jamais l’accomplissement.

Le lendemain et six jours suivans, ils se donnèrent tout le bon temps que l’on se peut imaginer. Mais Francion, ayant regardé, en un instant qu’il s’étoit séparé de Laurette, le portrait de Nays, que Raymond lui avoit laissé, mit son esprit en inquiétude. Il se souvint de s’enquérir de Dorini où il avoit fait une si belle acquisition, et si ce visage parfait étoit une fantaisie du peintre ou une imitation de quelque ouvrage de nature. Dorini lui apprit que c’étoit le portrait d’une des plus belles dames de l’Italie, qui étoit encore vivante ; et il poursuivit ainsi son propos : Il y a sur les confins de la Romanie une jeune dame appelée Nays, veuve depuis un an d’un brave marquis qui n’a été que six mois en mariage avec elle ; vous pouvez bien croire que ses perfections et ses richesses ne la laissent pas manquer de serviteur. Elle en a acquis un si grand nombre, que l’on peut dire qu’elle en a à revendre, à prêter et à donner. Pas un de tous ceux qui la courtisent n’a sçu encore obtenir d’elle aucune faveur remarquable. Entre tous les Italiens, il n’y avoit que son défunt qu’elle pût aimer. Son inclination la porte à chérir les François ; si bien qu’ayant vu le portrait d’un jeune seigneur de ce pays-ci, nommé Floriandre, qui avoit les traits du visage fort