Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/328

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et feignoit d’être malade. Dès qu’il lui eut dit qu’il y avoit trois jours qu’il étoit sorti de la maison pour l’aller chercher, elle lui assura qu’il y en avoit plus de deux qu’elle étoit revenue, de sorte qu’il apaisa sa colère, et crut qu’il ne l’avoit point vue au château de Raymond.

Tandis Francion songea à se préparer à la départie ; et, après avoir témoigné le regret qu’il avoit de ce qu’il falloit qu’il fût quelque temps séparé de Raymond, il prit le lendemain congé de lui dès le matin, et s’en alla avec tout son • train, qu’il avoit renforcé à l’aide de ce bon ami, et qui consistoit en un valet de chambre, trois laquais et quelque palefrenier.

Lorsqu’il arrivoit aux hôtelleries, il n’avoit point d’autre entretien que de contempler le portrait de celle qui étoit cause de son voyage. Quelquefois même, étant sur les champs, il le tiroit de sa pochette, et, en cheminant, ne laissoit pas de le regarder. À toutes heures il lui rendoit hommage, et lui faisoit sacrifice d’un nombre infini de soupirs et de larmes. Le premier jour, il ne lui arriva aucune aventure ; mais, le second, il lui en arriva une qui mérite bien d’être récitée.

Sur le midi, il se rencontra dans un certain village, où il résolut de prendre son repas. Il entre dans la meilleure taverne, et, cependant que l’on met ses chevaux à l’écurie, il va regarder à la cuisine ce qu’il y a de bon à manger ; il la trouve assez bien garnie de ce qui pouvoit apaiser sa faim, mais il n’y voit personne à qui il puisse parler : seulement il entend quelque bruit que l’on fait à la chambre de dessus ; et, pour sçavoir ce que c’est, il y monte incontinent. La porte lui étant ouverte, il vit un homme sur un lit, n’ayant le corps couvert que d’un drap, lequel disoit beaucoup d’injures à une femme qui étoit assise plus loin dessus un coffre. Sa colère étoit si grande, qu’à l’instant même il se leva tout nu comme il étoit pour l’aller frapper d’un bâton qu’il avoit pris auprès de soi. Francion, qui ne sçavoit point si la cause de son courroux étoit juste, l’arrête et le contraint de se remettre au lit : Ah ! monsieur, lui dit cet homme, donnez-moi du secours contre mes ennemis : j’ai une femme pire qu’un dragon, laquelle est si vilaine, qu’elle ose bien s’adonner à ses saletés devant mes yeux. Monsieur, dit la femme en se tournant vers Francion, sortons d’ici vitement, je vous prie ; j’ai