Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/335

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ment, et le faisoit si bien souffler à sa fantaisie, que c’étoit dommage qu’il ne s’étoit fait nautonier. Le plus souvent il gageoit de faire des petarades en certain nombre, et les jetoit comme un tonnerre sans y manquer d’une seule ; c’étoit là son jeu ordinaire dans les compagnies, car il y gagnoit toujours beaucoup d’argent. Mais, ma bonne amie, que je ne le voie plus ; il le faut enterrer plus tôt que plus tard : çà, mettons-nous en besogne, nous gagnerons cinq ou six quarterons d’indulgences ; voici une aiguille et du fil.

Ayant dit cela, elle a tiré le rideau ; et, comme elle se penchoit pour me regarder, étant saison de jouer mon jeu, puisque j’avois reconnu le peu d’estime qu’elle faisoit de moi, j’ai levé mon bras et lui ai appliqué fermement ma main sur sa joue, si bien qu’elle a eu une excessive frayeur. Je ne suis pas encore mort, coquine ! lui ai-je dit ; et, si Dieu plaît[1], je te mettrai quelque jour en terre, quand ce ne seroit qu’à cause que tu désires malicieusement que je sorte de ce monde : le ciel, pour te faire enrager et te punir, permettra que j’y demeure longtemps. Alors ils se sont tous trois mis autour de moi ; et, ne voulant pas croire que je fusse vivant, parce qu’ils ne désiroient pas que je le fusse, ils n’ont pas laissé de me dépouiller et d’essayer de m’ensevelir dans ce drap. J’ai résisté tant que j’ai pu, criant au meurtre et à l’aide, et leur disant que je n’étois point mort. Je pense qu’ils avoient envie de m’étrangler et de m’étouffer, et qu’ils l’eussent fait, si de votre grâce vous ne fussiez venu à ma rescousse, étant je crois appelé par mes cris. Or, monsieur, je vous supplie de m’assister, voyant la justice de ma cause ; empêchez que l’on ne me persécute, comme l’on a fait auparavant votre venue, et soyez le protecteur des misérables.

Quand il eut ainsi achevé de parler, Francion, qui avoit connu son bon droit, voulut mettre la paix partout : le ruffien et celle qui l’accompagnoit s’en allèrent cependant, craignant la touche : la femme, voyant que le gentilhomme qui étoit chez elle y désiroit dîner, s’en alla à la cuisine, toute honteuse et fâchée, mettre ordre aux sauces. Tandis le mari se vêtit, se tenant toujours près de Francion, avec lequel il discourut de plusieurs choses. Après le dîner, Fran-

  1. Pour : s’il plaît à Dieu.