Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/341

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vers son père lui dire qu’il avoit rencontré des voleurs, qui lui avoient dérobé son argent et son manteau, et l’avoient démonté. Vous pouvez penser quelle fâcherie en eut du Buisson ; il ne sçavoit à qui s’en prendre ; enfin sa rage le porta à jeter toute la faute sur son fils, à le battre très-bien, après lui avoir dit qu’il étoit un coquin, qu’il étoit parti trop tard, et qu’il n’avoit pas pris le chemin ordinaire, où il eût pu rencontrer quelqu’un qui l’eût secouru. Il donna charge au prévôt des maréchaux, de s’enquérir des personnes qui l’avoient volé. Un archer, sçachant de quel poil et de quelle taille étoit son cheval, fit telle diligence qu’il le trouva, et le reconnut dans une certaine ville proche d’ici, comme l’on le menoit boire. Il le suivit jusqu’à un logis, où il demanda au maître qui c’étoit qui le lui avoit vendu. Il lui répondit que c’étoit un jeune homme, dont il ne sçavoit pas le nom ni la qualité ; mais que, s’il le rencontroit, il le reconnoîtroit fort bien. De mauvaise fortune le jeune du Buisson vint à passer par là, et le bourgeois dit incontinent à l’archer : Le voilà sans doute, mettez la main dessus lui. Gardez-vous bien de vous tromper, dit l’archer, car c’est là le fils de celui qui a perdu le cheval. C’est assurément lui qui me l’a vendu, repartit l’autre. L’archer se contenta de sçavoir ceci, et, alla redire à du Buisson, qui confronta le bourgeois à son fils. Il fut incontinent convaincu, et, craignant la fureur de son père, il sortit secrètement du château, puis s’en alla, pensez, querir son argent, avec lequel il s’est si bien éloigné d’ici que l’on ne l’y a point vu depuis : à la fin il faudra bien qu’il y revienne quand ce ne seroit que pour recueillir sa part de la succession du vieux avare, qui ne se gardera pas de mourir pour ses richesses. Ce qui vient de la flûte s’en retourne au son du tambour. Les biens mal acquis seront quelque jour infailliblement mal dépensés. Quand le jeune homme les aura en sa possession, il ne faut pas demander quel dégât il en fera : par là l’on pourra connoître quel plaisir il y a à mettre en un tas beaucoup d’écus, que l’on laisse à l’abandon lorsque l’on y pense le moins. Pour moi, je ne sçais lequel je dois blâmer, du père ou du fils ; tous deux ont manqué à leur devoir ; mais je ne puis nier que je ne connoisse bien que la faute vient premièrement du père, qui par sa chicheté a comme forcé son fils à lui ravir ce qu’il ne lui a pas voulu bailler de