Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien que la bassesse de ma condition m’empêche beaucoup d’obtenir vos bonnes grâces. C’est pourquoi je mettrai toute ma puissance à réparer ce défaut par des affections excessives, dont j’essayerai de vous vaincre. Joconde, se souriant de ce discours comme pour s’en moquer, changea incontinent de propos, et demanda à Francion où il avoit été élevé en sa jeunesse. Il lui promit que le lendemain, si elle vouloit prendre la peine de revenir au même lieu, à la même heure, il lui déclareroit tout au long ce qu’elle désiroit de sçavoir, n’ayant pas envie de lui en rien dire qu’il n’eût auparavant consulté d’un jugement plus rassis dessus quelque point.

En attendant elle ne laissa pas de s’informer de beaucoup de choses de lui. L’on lui dit en quelle estime il étoit par tout le pays, et l’on lui fit presque accroire qu’il avoit acquis par art magique les perfections qu’il avoit. Le jour suivant ils vinrent tous deux à l’endroit désigné, Joconde somma Francion de sa promesse, qu’il accomplit en lui parlant de cette sorte : Quand vous ne m’auriez pas prié de vous dire qui je suis, il faudroit toujours bien que je vous l’apprisse, si je voulois que vous eussiez égard à l’affection que je vous porte. Je vous déclare que je suis gentilhomme des plus nobles de la France, et que, vous ayant aperçue il y a quelque temps dans la ville, où vous avez accoutumé de demeurer, vos charmes me vainquirent tellement que je me résolus de prendre un habit de villageois, sçachant que vous deviez venir ici, afin de pouvoir entrer chez vous sans donner du soupçon à personne. Après ce mensonge, qu’il disoit pour l’obliger davantage à le chérir, il l’enchanta par mille preuves d’un extrême amour. Alors, ne doutant point qu’il ne fût de grande qualité, elle ne feignit point de lui assurer que la peine qu’il avoit prise seroit bien récompensée. Il se tenoit si propre avec son méchant habit qu’il ne laissoit pas de paroître de bonne mine ; tellement qu’elle conçut presque autant d’affection pour lui que s’il eût été couvert des plus beaux vêtemens que les courtisans portent.

Les assurances d’une passion réciproque étant baillées de part et d’autre, ils s’amusèrent à discourir sur plusieurs particularités. Joconde dit à Francion l’opinion que l’on lui avoit voulu donner qu’il se mêloit de la magie noire. Ne la voulant