Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/394

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dît monter, ou qu’il n’arrivât quelque autre infortune. Ils demeurèrent donc au même endroit où ils étoient, et Francion étendit une grande housse de mulet dessus les bottes de foin, à cette fin que sa maîtresse ne s’emplît point d’ordures en s’y couchant. L’on peut bien croire qu’ils y prirent autant de plaisir qu’ils eussent fait en un lit de parade. Pendant une des trêves qu’ils firent en leur guerre amoureuse, Francion raconta la finesse dont il avoit abusé, le charretier, qui s’en étoit allé dormir autre part, croyant qu’il passât la nuit dedans la cour à contempler le bâtiment à la clarté des étoiles. Joconde dit après que, pour ne point coucher dedans la chambre de sa mère à l’ordinaire, elle avoit feint qu’il y faisoit trop chaud, afin que l’on la laissât coucher toute seule dedans une chambrette qui avoit une issue sur un petit escalier, d’où elle avoit pu venir le trouver sans traverser la cour. Puis, songeant à l’avenir, ils se proposèrent plusieurs moyens de s’entrevoir par après, comme les esprits des amoureux sont subtils à rencontrer ce qui peut rendre leurs contentemens perdurables. La meilleure invention qu’ils trouvèrent, et celle qu’ils se délibérèrent de suivre, fut que Francion tâcheroit de se mettre au service du marchand, qui, reconnoissant son mérite, seroit plus aise de l’avoir pour facteur que pas un autre. Joconde consentoit que cela se fît, en attendant qu’il se résolût à se découvrir pour ce qu’il étoit, et, quant à lui, il en étoit d’accord, afin de se retirer du village, où il commençoit de se déplaire parmi les esprits grossiers ; mais il ne désiroit pourtant pas se tenir en cet autre état que pour une passade. Il fit entendre à sa maîtresse qu’il avoit besoin d’argent ; elle lui donna tout ce qu’elle avoit, ne lui pouvant rien refuser. Il avoit goûté avec elle toutes les délices que l’on se peut imaginer, lorsqu’une petite lumière, avant-cour•rière du jour, leur donna le signal de la retraite. À l’instant qu’ils prenoient congé l’un de l’autre, l’on heurta bien fort à la porte de la maison, et tout incontinent un valet, qui s’étoit réveillé, la vint ouvrir. Un homme armé lui dit arrogamment : Mon ami, allez-vous-en avertir votre maître qu’il y a du tumulte dedans la ville, et lui demandez s’il ne désire pas envoyer un homme avec un mousquet dedans la grande place, selon le commandement que je lui en fais de la part •du capitaine. Vite, courez, j’attendrai ici la réponse : n’ayez