Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/410

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mariés, reprit-elle, que nous avions un seigneur en ce village, qui étoit bon compagnon ; il me vint cajoler, et me conta que les femmes de la ville n’étoient point grossières comme celles des champs, qu’elles ne refusoient rien de ce que l’on leur demandoit, et que moi, qui étois belle et jeune, j’en devois faire de même pour être estimée, et traiter avec gracieuseté les honnêtes gens. Là-dessus il vint à me baiser, et passa plus avant sans que je lui résistasse ; car j’avois envie de lui montrer que j’avois profité de ses enseignement ; je ne croyois pas que cela fût honnête de lui refuser quelque chose ; ainsi je passai le pas ; mais, comme peu après son valet de chambre m’eût rencontrée à l’écart, quand il me voulut caresser, je ne me montrai pas si facile. Il pensoit que l’occasion faisoit le larron, et qu’étant en un lieu fort secret je me laisserois aller ; mais je lui sçus bien dire : Allez, allez, vous n’êtes pas notre seigneur. Penseriez-vous qu’on vous laissât tout faire comme à lui ? Depuis j’ai bien connu qu’il ne falloit rien permettre ni aux valets ni aux maîtres, et mon innocence s’est passée avec ma jeunesse. Toutefois, comme il y avoit un jour ici des soldats, qui ravageoient tout, cependant que vous étiez allé à la ville, il y en eut un qui me dit : Il faut de deux choses l’une, ou que j’emporte tes poules, ou que je couche avec toi. J’aimai mieux qu’il couchât avec moi, de peur de vous faire crier ; parce que, s’il eût pris nos poules, vous vous en fussiez bien aperçu ; mais vous ne vous pouviez apercevoir s’il avoit couché avec moi ou non ; car, en ce larcin-là, l’on n’emporte rien, et l’on ne met rien hors de sa place. Voilà, mon mari, comment j’ai failli deux fois, mais cela n’est pas digne de punition. L’on dit que la première faute mérite remontrance, et que pour la seconde on doit pardonner, et qu’il n’y a que la troisième et les autres qui sont ensuite, qui doivent payer pour toutes : je l’ai ouï prêcher ainsi. Vous faites bien de me pardonner, puisque je n’ai pas péché jusqu’à trois fois. Oui-da, ce dit le mari, mais il suffit de deux fois pour faire un homme cocu. Pour une, ce n’est pas assez ; car qui n’a encore qu’une pointe au front n’est pas appelé cornu, il en faut avoir deux. Mais, mon mari, ce dit la femme, sçachez qu’il n’est point cornard qui ne le pense être ; et que, puisque j’étois si simple quand j’ai failli contre les lois •du mariage, que je ne croyois pas vous faire cocu, vous ne