Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/416

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éclater leur mérite, et que la pauvreté est un instrument de leur vertu.

Dorini étoit d’avis que Francion se vengeât de ses deux rivaux ; mais il répondit qu’il valoit mieux ne point réveiller une affaire qui étoit déjà assoupie, et que, Ergaste s’en étant retourné à Venise et Valère en une sienne maison champêtre, à cause qu’ils étoient las de poursuivre une chose qu’ils ne pouvoient avoir, il les falloit laisser avec les remords de conscience que sentent les coupables. On ne pouvoit tirer raison d’eux sans abreuver tout le monde de ce qui s’étoit passé, et Francion ne vouloit pas que l’on sçût qu’il avoit été en prison, et que, depuis, il avoit été contraint de vivre en paysan.

Encore qu’il tînt tout ceci pour des galanteries et des aventures agréables, si est-ce qu’il n’oublia pas à faire monter bien haut les inquiétudes qu’il avoit eues étant séparé de Nays ; mais cette rusée, qui se les imaginoit bien, fit semblant pour ce coup de tenir tout cela dedans l’indifférence. Après divers entretiens, ces braves cavaliers la laissèrent et s’en retournèrent coucher en la maison où ils s’étoient logés.

Le lendemain, au matin, comme ils déjeunoient, l’on leur vint dire que deux gentilshommes françois étoient à la porte, lesquels demandoient de parler à Francion. Il dit que l’on les fît entrer, et il fut tout étonné que c’étoit le jeune du Buisson et un nommé Audebert, qui étoit de son pays. Il les salua courtoisement, et, ayant dit à du Buisson qu’il voyoit bien qu’il étoit homme de promesse, il vouloit sçavoir d’Audebert comment ils s’étoient trouvés ensemble. Audebert lui répondit qu’ils avoient fait connoissance dedans Lyon, et que depuis ils ne s’étoient point quittés, et qu’il y avoit plus d’un mois qu’ils étoient arrivés à Rome. Mais il y a bien autre chose, dit du Buisson ; il semble que le ciel m’ait destiné pour faire venir ici tous vos meilleurs amis, pour être témoins de vos belles aventures ; Audebert ne vous dit pas que j’ai amené un galant homme qui se vante d’avoir été autrefois pédagogue : c’est un des oracles de ce temps ; il crache à tout propos le grec et le latin. Qui est donc celui-là ? dit Francion. Comment ! dit Audebert, vous ne connoissez pas l’incomparable Hortensius ? Hortensius ! reprit Francion en s’écriant ; ah Dieu, que je puis bien dire, comme Philippe de Macédoine, quand il reçut deux bonnes nouvelles en un même instant : Ô fortune ! ne