Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/429

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ferez plus de bien qu’il ne pense, le délivrant de la rage qu’il sent : je le sçais bien, et il voudroit de bon cœœur que cela fût fait ; c’est pourquoi il vous y faut aller, et, malgré qu’il en ait, lui arracher les dents qui lui nuisent. Vous êtes si subtil, que, quand il ouvrira la bouche pour parler à vous, vous les lui pourrez ôter sans qu’il y songe. Au reste, après cela, il vous payera honnêtement, ou bien nous vous payerons. Le charlatan croyant tout ceci, nous lui dîmes en quel endroit logeoit Hortensius ; et, comme il étoit prévoyant, il prit avec lui deux volontaires de dessus le pont pour l’y accompagner afin de lui aider dans son entreprise. Hortensius, qui tâchoit à gagner sa vie en toutes façons, avoit alors quatre pensionnaires, qui alloient en première au collége de Boncour[1]. Il leur faisoit répéter leur leçon lorsque ces gens-ci entrèrent. Monsieur, lui dit le charlatan, vos parens m’ont dit que vous avez des dents qui vous font mal, vous plaît-il que je vous les arrache ? Moi ? dit Hortensius, j’en ai de meilleures que vous ; vous me prenez pour un autre. Nullement, dit le charlatan ; l’on m’a dit que vous cèleriez que vous y avez mal, afin que je ne vous les arrache point ; mais l’on m’a commandé de vous les ôter, il faut que je le fasse. Tenez-le, garçons, ouvrez-lui la bouque bien grande : çà, je vous ferai si peu de douleur, que vous n’en sentirez rien. Les volontaires le voulurent prendre alors par les bras, mais il leur déchargea à chacun un coup de poing. Le charlatan dit aux écoliers : Messieurs, aidez-nous ; il faut ôter les dents à votre maître, on me l’a dit ; cela devroit être fait. Il le voudroit bien : il ne craint autre chose sinon que je lui fasse du mal, et je ne lui en ferai point. Les écoliers, croyant ceci, tâchèrent aussi de l’arrêter, et il avoit fort à faire à se dépêtrer de tant de gens. Enfin il leur dit : Quoi ! vous êtes aussi contre moi ? Ne voyez-vous pas que ce sont ici des affronteurs ? Si vous ne me défendez, je m’en plaindrai à vos pères. À ces paroles, ils le laissèrent et se tournèrent contre le charlatan, qu’ils s’efforcèrent de chasser. Hortensius prit un bâton dont il le frappa, et le fit sortir avec sa suite, qui n’osoit se défendre contre un homme qui étoit plus fort qu’eux, étant dessus son palier. Les volontaires, étant dedans la rue, dirent au char-

  1. C’est là que Voiture fit ses études.