Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/436

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notre terre ; et ce sera là qu’il trouvera encore quelque lieu habitable, où il y aura des peuples inconnus qu’il surmontera. De là, il se transportera dedans le grand orbe déférent ou porte épicycle, où il ne verra rien que des vastes campagnes qui n’auront pour peuple que des monstres ; et, poursuivant ses aventures, il fera courir la bague à ses chevaliers le long de la ligne écliptique. Après, il visitera les deux colures et le cercle méridional, où se feront de belles métamorphoses ; mais, s’approchant trop près du soleil, lui et tous ses gens gagneront une maladie pour qui Dieu n’a point fait de remèdes que le poison et les précipices. Il leur prendra une fièvre chaude si cruelle, que, si les anciens tyrans l’eussent eue en usage, ils en eussent puni les martyrs, au lieu de se servir des morsures des bêtes. Voilà la fin que je mettrai à cet œuvre, qui doit durer autant que la nature, malgré les marauds qui le blâmeront. Considérez si ce ne sont pas là des choses hautes.

Toute la compagnie fut surprise d’étonnement d’entendre des extravagances si grandes, et, pour tirer davantage de plaisir de ce brave Hortensius, Raymond, faisant semblant de l’admirer, lui dit : Certes, je n’ouïs jamais chose si divine que ce que vous venez de nous raconter. Plût à Dieu qu’au lieu que vous ne nous en avez qu’ébauché de simples traits il vous plût nous réciter un jour tout le reste de point en point ! C’est assez pour ce coup, lui dit-il, je vous veux dépêcher matière : il faut que vous entendiez encore d’autres desseins que j’ai. Sçachez que, si le monde nous semble grand, notre corps ne le semble pas moins à un pou ou à un ciron : il y trouve ses régions et ses cités. Or il n’y a si petit corps qui ne puisse être divisé en des parties innombrables ; tellement qu’il se peut faire que, dedans ou dessus un ciron, il y ait encore d’autres animaux plus petits, qui vivent là comme dans un bien spacieux monde ; et ce sont, possible, de petits hommes, auxquels il arrive de belles choses. Ainsi il n’y a partie en l’univers où l’on ne se puisse imaginer qu’il y a de petits mondes. Il y en a dedans les plantes, dedans les petits cailloux et dedans les fourmis. Je veux faire des romans des aventures de leurs peuples. Je chanterai leurs amours, leurs guerres et les révolutions de leurs empires ; et principalement je m’arrêterai à représenter l’état où peuvent être les peuples qui habi-