Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tent le corps de l’homme, et je montrerai que ce n’est pas sans sujet qu’on l’a appelé microcosme. Je ferai quelque autre discours séparé, où toutes les parties corporelles auront beaucoup de choses à démêler ensemble. Les bras et les mains feront la guerre aux pieds, aux jambes et aux cuisses ; et les yeux feront l’amour aux parties naturelles, les veines aux artères, et les os à la moelle. Ce n’est pas tout, j’ai encore un dessein admirable en l’esprit, qui ôtera la palme à l’Argenis[1] et à la Chariclée[2]. Je veux faire un roman dessus les eaux. Je veux bâtir des villes plus superbes que les nôtres, dans la mer Méditerranée, et dans les fleuves qui s’y rendent, où les Tritons et les Néréides feront leur demeure : toutes leurs maisons seront bâties de coquilles et de nacre de perles. Il y aura là aussi des paysages et des forêts de corail, où ils iront à la chasse aux morues, aux harengs, et aux autres poissons : la plupart des arbres seront de joncs, d’algue et d’éponges ; et, s’il s’y fait des tournois ou des batailles, les lances ne seront que des roseaux.

Comme Hortensius en étoit là, Francion, lui voulant témoigner qu’il étoit ravi d’admiration, commença de s’écrier : Ah ! Dieu, quelles riches inventions ! Que nos anciens ont été infortunés de n’être point de ce temps, pour ouïr de si belles choses, et que nos neveux auront d’ennui d’être venus trop tard pour vous voir ! Mais il est vrai que la meilleure partie de vous-même, à sçavoir vos divins écrits, vivront encore parmi eux. Ô Paris, ville malheureuse de vous avoir perdu ! Rome, ville heureuse de vous avoir acquis ! Vous n’entendez pas tout, reprit Hortensius, j’ai bien d’autres desseins pour ravir le monde : sçachez que j’ai tant de romans à faire que j’en suis persécuté. Il me semble, en rêvant dans ma chambre, qu’ils sont à tous coups autour de moi en forme visible, comme de petits diablotins, et que l’un me tire par l’oreille, l’autre par le nez, l’un par les grègues, et l’autre par les jar-

  1. Roman de Jean Barclay, satire très-piquante, écrite en latin élégant et dirigée contre les vices des cours. Richelieu prenait grand plaisir à la lecture de l’Argenis, dont Pierre Du Ryer donna une traduction nouvelle en 1624.
  2. Les amours de Théagène et de Chariclée. C’est par la traduction de ce roman d’Héliodore qu’Amyot a commencé à se faire connaître.