Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/443

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ritoient des couronnes, les autres méritoient le fouet. Outre cela, ce qui y étoit bon étoit dérobé des livres anciens, et ce qui étoit impertinent venoit de l’auteur. Néanmoins il pouvoit bien être que tout cela semblât fort spécieux à des ignorans, comme ceux qui l’estimoient ; lesquels n’avoient garde de découvrir les larcins, parce qu’ils n’avoient jamais lu aucun bon livre. Il n’y avoit rien là dedans à apprendre que des pointes, qui avoient beaucoup d’air de celles de Turlupin, lesquelles étoient mêlées hors de propos parmi les choses sérieuses. L’auteur[1] écrivoit à des cardinaux et à d’autres personnes graves comme s’il eût parlé à des gens voluptueux, qui eussent aimé à ouïr conter des bouffonneries. Francion y remarqua bien d’autres particularités, dont il se gaussa avec Raymond, s’étonnant comment l’on avoit tant estimé de tels ouvrages, et comment celui qui les avoit faits pouvoit avoir la présomption qu’il témoignoit dans ses écrits : il faudroit faire un autre livre dans celui-ci, qui voudroit remarquer tout. C’est pourquoi laissons là les sottises du temps, et qu’elles soient louées de qui elles pourront, cela n’importe, pourvu que l’on ne nous contraigne point de les louer aussi. Je pense que cela ne sera pas, et que les rois ont autre chose à songer qu’à faire des édits là-dessus.

Francion, s’étant retiré de la lecture de ce livre, dont l’extravagance lui avoit bien donné du plaisir, le rapporta lui-même à Hortensius, ne lui en disant rien ni en bien ni en mal. Il se mit tout à fait en ses bonnes grâces, lui louant jusqu’à l’excès tout ce qu’il lui montra. Il n’avoit plus d’envie de gausser, quelque chose qui arrivât : l’amour le travailloit trop. Quand il alloit voir Nays, soit qu’il fût seul, soit qu’il fût accompagné, elle se contentoit de lui témoigner de la courtoisie, et ne se vouloit point porter jusqu’à l’amour.

Il avoit alors reçu de l’argent, à Rome, des mains d’un banquier, de sorte qu’il avoit élevé son train et commençoit à paraître merveilleusement. Il faisoit une fort belle dépense avec Raymond, qui l’appeloit son frère ; si bien que l’un étoit tenu pour comte, comme il étoit de vrai, et l’autre pour marquis. Il faisoit souvent donner des sérénades à sa maîtresse, où il chantoit toujours après les musiciens, pour se faire connoître.

  1. Balzac.