Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/449

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ceux-là se tromperoient bien qui, ayant ouï ce que j’ai dit ci-dessus, croiroient que je suis bien arrogant. Ils me diront que louer ses propres ouvrages, c’est entreprendre sur la coutume des charlatans du pont Neuf, qui exaltent toujours leurs onguens, et des comédiens qui dedans leurs affiches donnent à leurs pièces les titres de merveilleuses et d’incomparables. Mais il faut considérer que, si quelqu’un mérite d’être blâmé pour ceci, ce sont ceux qui, nous montrant qu’ils ont fait un bon livre, nous veulent aussi persuader que leur personne a d’excellentes qualités, ne considérant pas que tous les jours les sots et les méchans accomplissent de beaux ouvrages. Que l’on sçache donc que je prends les choses d’un autre biais que ceux-ci, et qu’ayant plus d’innocence que de vanité, si je ne fais point de difficulté de dire que j’écris bien, c’est parce que je trouve que c’est une si petite perfection, qu’il n’y a pas beaucoup de gloire à la posséder, si l’on n’en a d’autres aussi ; et que c’est quand l’on se vante de surmonter toute sorte d’accidens et de sçavoir bien conduire des peuples que l’on témoigne d’être superbe. Que si l’on ne se contente point de cette raison et qu’on trouve encore mauvais ce que j’ai dit, je suis quitte pour répondre que je suis bien d’avis que l’on n’en croie que ce que l’on voudra, et que, tout mon livre étant facétieux, l’on prenne pour des railleries tout ce que j’en dis aussi bien comme le reste. Ce qui fait beaucoup pour moi et qui montre clairement que je me soucie fort peu d’être tenu pour bon écrivain, c’est qu’ayant abandonné mon ouvrage sans y mettre mon nom la gloire que je me donne ne me sçauroit apporter de profit. Je suis bien éloigné de cet impertinent contre qui l’antiquité a tant crié, lequel ayant fait un livre, où il se moquoit de la vanité de ceux qui veulent acquérir de la renommée par leurs écrits, ne laissa pas de s’en dire l’auteur. Je n’ai garde de faire une pareille faute, après avoir tant méprisé cette gloire. Je sçais bien la subtilité de Phidias qui, ayant eu défense d’écrire son nom au pied d’une statue de Minerve qu’il avoit faite, mit son portrait en un petit coin du bouclier de cette déesse, afin d’être toujours connu ; mais, quand j’aurois trouvé place pour me dépeindre en quelque endroit de mon livre, où l’on pût voir qui je serois, je ne pense pas que je le voulusse faire. À tout le moins sçais-je bien que je me contenterois donc de cela, et que