Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/451

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cessaire de faire un avertissement ou une préface dans ses ouvrages : car l’on y dit quelquefois beaucoup de particularités qui importent à notre gloire. Néanmoins, il y a des hommes si peu curieux, qu’ils ne les lisent jamais, ne sçachant pas que c’est plutôt là que dans tout le reste du livre que l’auteur montre de quel esprit il est pourvu. Je demandois un jour à un sot de cette humeur pourquoi il ne lisoit point les préfaces. Il me répondit qu’il croyoit qu’elles étoient toutes pareilles, et qu’en ayant lu une en sa vie c’étoit assez : il se figuroit que le contenu se ressembloit ainsi que le titre. Que ceux qui auront mes livres entre leurs mains ne fassent pas ainsi, s’ils me veulent obliger à les avoir en quelque estime ; qu’ils lisent toujours mes préfaces, car je m’efforce de n’y rien mettre qui ne serve à quelque chose. Je ne serai jamais de ceux qui manqueront à cela, repartit Raymond ; mais dites-moi un peu ce que c’est que votre dernier livre. C’est une plaisante affaire, dit Francion ; il est fait, et néanmoins je n’en ai rien d’écrit. Vous sçaurez donc que c’est une satire fort piquante contre des personnes dont j’ai sujet de parler librement ; et, pour ce que le style n’en est pas ordinaire et que l’on ne sçauroit donner à cet ouvrage un titre qui exprime assez ce qu’il contient, je l’appellerai le Livre sans titre. Ce sera là un titre, et si ce n’en sera pas un, mais cela conviendra bien à une pièce si fantasque. Le sujet où je m’arrête là-dedans, c’est à déchiffrer la vie et les vices de quantité de personnes de grande qualité, qui font les sérieux et les graves et n’ont rien qu’hypocrisie en leur fait. Or, comme cet ouvrage porte un titre sans en avoir un, je me suis encore imaginé une agréable chose, c’est d’y mettre une épître dédicatoire sans y en mettre une, ou tout au moins de le dédier sans le dédier. Or voici mon invention : l’on verra ce titre écrit au second feuillet en grosses lettres : aux grands, comme si c’étoit l’adresse d’une lettre de dédicace, et puis il y aura dessous ces mêmes paroles :

Ce n’est pas pour vous dédier ce livre que je fais cette épître, mais pour vous apprendre que je ne vous le dédie point. Vous me répondrez que ce ne seroit pas un grand présent que le récit d’un tas de sottes actions que j’ai remarquées ; mais que ne me donnez-vous sujet d’en raconter de belles, et pourquoi ne sera-t-il pas permis de dire des choses que l’on ose