Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/455

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quelques chevaux devant la porte de la maison, et l’on heurta deux ou trois fois fermement. Pétrone, gentilhomme suivant de Francion, fut envoyé pour voir qui c’étoit : il vint rapporter que c’étoient des Polonois, qui disoient qu’ils vouloient parler à un seigneur nommé Hortensius. C’est vous, dit Francion, il n’en faut point douter. Ah ! Dieu, pourquoi soupons-nous si tard, et que n’avons-nous mieux fait ranger tout ici ? ils trouveront tout en désordre. Hortensius tenoit alors un verre à la main qu’il alloit porter à sa bouche ; mais, comme l’on dit qu’il arrive souvent beaucoup de choses entre le verre et les lèvres, cette nouvelle le ravit tellement de joie, que la main lui branla et qu’il laissa tomber son vin et son verre tout ensemble. Il est cassé, ce disoit-il en son transport ; c’est peu de chose : mais à quoi ai-je songé de m’habiller si peu à l’avantage aujourd’hui ? Que diront ces messieurs de me voir si mal fait ? Que n’ai-je été plus tôt averti de leur venue ? j’eusse songé à m’accommoder mieux, et Raymond m’eût prêté son plus beau manteau. Il faut être un peu à la mode de leur pays, dit Raymond ; je m’en vais vous dire ce que vous ferez. Et alors, s’étant tous levés de table, les valets desservirent et rangèrent tout dedans la chambre de Raymond au mieux qu’il fut possible. Raymond envoya querir dans sa garde-robe un petit manteau fourré dont le dessus étoit de satin rose sèche, lequel servoit à mettre quand l’on étoit malade. Il dit à Hortensius : Mettez ceci sur vos épaules : ces Polonois vous respecteront davantage, voyant que vous êtes déjà habillé à leur mode ; car ils se servent fort de fourrures, d’autant qu’il fait plus froid en leur pays qu’en celui-ci. Hortensius étoit si transporté, qu’il croyoit toute sorte de conseils ; il mit ce manteau librement, et, s’étant assis en une haute chaise, suivant l’avis de Francion, tous les autres demeurèrent à ses côtés debout et tête nue, comme pour donner opinion aux Polonois qu’il étoit grand seigneur. Raymond lui dit à l’oreille : Apprêtez votre latin, car sans doute ils harangueront en cette langue : elle leur est aussi familière que la maternelle, et je m’assure qu’une des raisons pour laquelle ils vous ont fait leur roi, c’est qu’ils ont sçu que vous étiez bon grammairien latin.

Comme il finissoit ce propos, les quatre Allemands, qui s’étoient habillés en Polonois, arrivèrent avec six flambeaux