Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/458

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exalté. N’est-ce pas grand changement, quand l’on va querir un roi si loin ? et, pour l’humilité, n’en ai je pas toujours eu envers Dieu ? Cela est très-bien imaginé, dit Audebert ; je voudrois que nous eussions les Oracles des sibylles, le livre de l’abbé Joachim[1], les Révélations de sainte Brigide [2], les Prophéties de Merlin et les Centuries de Nostradamus : nous y trouverions sans doute encore quelque chose qui en parleroit. Car, pour vous dire vrai, tous ces livres-là sont fort gentils et fort utiles : l’on n’y remarque les choses que quand elles sont avenues. Mais qu’ils aient ou non parlé de votre royauté, que vous en chaut-il, puisque la voilà arrivée ? Oh ! que cela me servira grandement ! répondit Hortensius ; car je verrai, possible, tout ce qui me doit arriver au reste de ma vie, et je me tirerai des périls qui me menacent. C’est pourquoi, si vous voulez gagner ma faveur, délogez promptement et m’allez chercher les Révélations de sainte Brigide : notre hôte les a quelque part. Audebert, qui lui vouloit complaire pour en tirer du contentement, s’en alla chercher le livre qu’il demandoit, et fit tant qu’il le trouva. Hortensius lui fit lire les prophéties, qu’il écoutoit avec attention ; et, lorsqu’il trouvoit quelque chose qui sembloit s’accorder avec ses aventures, il le lisoit lui-même neuf ou dix fois, et y faisoit des marques avec un crayon ; puis, en ayant tiré des explications bourrues, il les dictoit à Audebert, qui les écrivoit sous lui. Ils passèrent ainsi une bonne partie de la nuit ; et, enfin, la tête leur tombant à tous coups sur le livre, ils résolurent de donner quelque temps au sommeil. Hortensius se mit au lit, et dit à Audebert qu’il s’y mît avec lui. Il fit là-dessus beaucoup de cérémonies, disant qu’à lui n’appartenoit pas tant d’honneur de coucher avec un prince, et qu’il ne feroit pas cette faute-là ; mais Hortensius lui dit qu’il y couchât donc pour la dernière fois, tandis qu’il n’avoit pas encore le sceptre en main, et qu’il ne laissât pas échapper ce bonheur. Audebert s’étant couché comme pour lui obéir, ils se mirent tous deux à dormir si fort, qu’il sembloit qu’ils jouassent à qui s’en acquitteroit le mieux. Quant au valet de chambre,

  1. livre de prophéties sur les papes.
  2. Révélations de sainte Brigitte ou Birgite, écrites par le moine Pierre, prieur d’Alvastre, et par Mathias, chanoine de Linkôping.