Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/482

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ses affaires, et sur quoi c’étoit qu’il se fondoit pour dire qu’il avoit promis la foi à Émilie.

Il est vrai qu’entre amis, comme nous sommes, dit Francion, il ne faut rien celer ; et même, comment est-ce que vous me pourriez donner conseil en mes affaires, si vous ne les sçaviez entièrement ? Un médecin ne peut rien ordonner à un malade sans connoître auparavant son mal. Je fis hier une faute de vous parler de ceci trop brusquement ; c’étoit pécher contre les lois de mon devoir ; mais vous tiendrez cela excusable, si vous considérez que ce n’a rien été que la honte qui retenoit ma parole, et non point un manquement d’affection. Je n’osois vous dire que, de vérité, après avoir reçu des assurances de la bonne volonté que Nays avoit pour moi, et après avoir même juré plusieurs fois que je ne trouvois rien de si beau comme elle, je n’ai pas laissé d’avoir la curiosité de voir d’autres beautés, dont j’ai même fait de l’estime. Mais quoi ! l’empire de cette dame devoit-il être si tyrannique, que j’eusse les yeux bandés pour tous les autres objets ? La nature n’a-t-elle pas donné la vue et le jugement aux hommes pour contempler et admirer toutes les beautés du monde ? D’ailleurs, étant de nouveau arrivé à Rome, qui est la reine des villes, j’aurois eu bien peu d’esprit si je n’avois voulu voir comment les femmes et les filles y sont faites, et si elles y sont plus belles qu’ailleurs. Pour ce qui est des courtisanes, elles se voient facilement, mais, pour les dames honnêtes et vertueuses, cela est très-difficile. Or cette difficulté en augmente le désir et rend le plaisir plus grand lorsque l’on peut venir à bout de son dessein. J’ai donc fait tout ce qui m’a été possible pour en voir quelques-unes, soit aux églises ou aux promenades, ; et quelquefois elles n’ont pas été si bien voilées, que je n’aie contemplé leur beauté ; mais, entre toutes celles que j’ai vues, il n’y en a point une telle qu’Émilie.

Dès les premiers jours que j’avois été à Rome, j’avois parlé à quelques gentilshommes françois, parmi lesquels j’avois trouvé Bergamin, qui ne manque point de se ranger vers les débauchés, et principalement vers ceux qui font la plus belle dépense. Sa gaie humeur me plut tellement, que je le priai que nous nous vissions, et il ne manqua pas à me visiter souvent. Or il vint me voir un matin comme je sortois