Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/492

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maintînt dedans le monde, parce qu’en effet elle n’avoit songé au cloître qu’en cas de nécessité. Je ne répondois à cela que par des paroles obscures, afin qu’il les expliquât comme il voudroit. Toutefois j’espérois qu’enfin par ce moyen je pourrois satisfaire mon amour. J’écrivis encore à Émilie, et je reçus une réponse qui me permettoit de l’aller voir pour la seconde fois : mais je n’y fis rien davantage qu’à la première. Elle se mit en colère contre ma violence, et me dit que je la traitois autrement que je ne devois, et que, si mon affection étoit si impatiente, je la devois demander en mariage à sa mère. Il falloit alors parler tout à bon : je lui remontai que j’étois étranger, et que, encore que j’eusse beaucoup de moyens, je n’étois pas si accommodé qu’un homme qui est dessus ses terres ; qu’auparavant que de songer à me marier il falloit me mettre en état de supporter les frais du mariage, et que, d’ailleurs, l’affaire étoit de telle conséquence, qu’elle méritoit bien que j’en écrivisse un mot à mes parens. Elle me dit alors que, si je l’eusse beaucoup aimée, je n’eusse demandé conseil qu’à mon amour, et qu’en ce qui étoit des richesses j’en avois assez dès lors pour la satisfaire. Je pense qu’elle connoissoit bien que je la voulois tromper, car, depuis, elle ne me tint aucun propos favorable ; de sorte que je fus contraint de m’en aller. Je lui écrivis trois lettres depuis, mais je n’eus qu’une seule réponse, par laquelle elle m’accusoit de trahison et d’ingratitude. Je ne laissois pas d’aller chez elle le jour, mais bien souvent je ne la voyois point, ou, si je la voyois, c’étoit sans parler à elle. Je ne parlois qu’à Lucinde, pour m’informer du temps qu’il falloit prendre, pour faire les plus puissantes sollicitations en son affaire ; mais Salviati nous fit entendre que l’on y avoit apporté du retardement par des chicaneries que l’on n’avoit pu empêcher. Comme je me voyois aussi alors hors d’espoir de rien gagner auprès d’Émilie, je ne poursuivis plus ma pointe avec tant d’ardeur ; et, parce que, d’un autre côté, je continuois à voir Nays, qui de jour en jour augmentoit sa bienveillance pour moi, je ne songeai plus qu’à elle et je redoublai mes poursuites. En ce temps-là, le docte Hortensius nous fit aussi passer le temps par ses galanteries, de manière que cela m’apporta du divertissement. Salviati m’a bien demandé, une fois ou deux, comment alloient mes amours et