Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/497

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ter pour cela, puisque l’on ne voit guère d’hommes si insensibles que de refuser leur bonne fortune ; mais tout cela n’est point ; de sorte que je ne pense point avoir failli en façon du monde ni être digne du traitement que j’ai reçu. Pour ne vous rien déguiser, je veux bien même vous raconter tout ce qui s’est passé entre Émilie et moi.

Là-dessus Francion raconta cette histoire, presque en la même sorte, que Raymond l’avoit déjà ouïe, et Dorini avoua que, s’il n’y avoit rien autre chose, de vérité il n’étoit pas si criminel ; mais que l’on auroit beaucoup de peine à le persuader à sa cousine, qui étoit femme entière en ses résolutions, et qu’elle vouloit absolument casser tout ce qui avoit été fait ; que, s’il en falloit venir là, à tout le moins il falloit faire que cela se passât sans bruit d’une part et d’autre : toutefois qu’il promettoit à Francion de ne rien faire contre lui. Raymond, qui avoit beaucoup de pouvoir sur Dorini, le supplia de ne point manquer de promesse à son ami, ne lui demandant autre récompense de l’affection qu’il lui avoit toujours témoignée. Il assura qu’il lui seroit favorable, et les quitta après, les laissant néanmoins dedans l’incertitude.

Cela rendit Francion tout chagrin, car il sçavoit bien que c’étoit un bon parti pour lui que Nays. Il étoit fâché de le perdre et de le perdre encore avec honte ; mais Raymond le voulut tirer de sa rêverie et de son affliction. Il lui dit qu’il se falloit résoudre généreusement à tout ; et que, s’il n’épousoit point Nays, il trouveroit encore assez d’autres femmes ; que cette marchandise étoit assez commune, et qu’aussi bien ne lui étoit-ce pas un si grand avantage de quitter toutes les prétentions qu’il avoit en France pour demeurer en Italie. Raymond lui disoit aussi cela pour son intérêt ; car, en effet, il étoit fâché de ce qu’il faudroit un jour le perdre et s’en retourner en France sans lui ; si bien que, quelque chose qu’il lui eût dite autrefois, il aimoit mieux que son mariage ne se fît point que de le voir achevé. Francion fit semblant d’approuver une partie de ce qu’il lui disoit, et ils furent d’avis de sortir pour passer leur mélancolie ; car il n’étoit pas encore heure de dîner, et ils pouvoient bien entendre la messe.

Ils allèrent dans une église voisine, où il n’y avoit pas beaucoup de monde, et néanmoins, lorsqu’ils passoient entre