Page:Sorel - La Vraie histoire comique de Francion.djvu/499

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mettre ainsi d’abord de l’argent dans les pochettes ; d’autant que par ce moyen l’on seroit charmé, et que l’on les laisseroit faire après, mais qu’ils emporteroient tout enfin. Vous avez raison, dit Francion ; je pense que ce drôle de tantôt en vouloit faire de même, ou bien qu’il a versé dans ma pochette l’argent qu’il venoit de dérober ailleurs, afin que je le lui gardasse pour un temps ; mais, quoi qu’il en soit, voici des quadrubles que je n’avois point encore maniés. Si cet argent-ci n’est promptement employé, il ne me fera point de profit ; car peut-être n’est-il pas bien acquis ; il faut trouver quelque manière de le dépenser. Comme il disoit cela, il y eut quatre hommes qui s’approchèrent de lui, et l’un d’entre eux lui dit qu’il falloit sçavoir où il avoit pris cet argent, et que non-seulement pour cela, mais pour d’autres choses encore, il avoit charge de le mener prisonnier. Francion dit qu’il n’avoit fait aucun crime pour lequel il méritât ce traitement, et Raymond vouloit faire aussi de la résistance avec ses laquais ; mais il vint là encore une demi-douzaine de sbires, qui sont les sergens de Rome, si bien que c’étoit assez pour s’assurer de la personne de Francion. Il y avoit aussi beaucoup de bourgeois dans la rue, qui prêtoient main-forte à la justice, et d’ailleurs il faut être extrêmement sage dedans cette paisible cité ; car, si l’on avoit outragé un sergent ou un huissier, ou quelque autre petit officier, l’on en seroit puni rigoureusement. Raymond, ayant donc fait tout ce qu’il pouvoit sans aucune violence notable, eût bien voulu que l’on l’eût mené aussi avec son ami, parce qu’il ne le pouvoit abandonner ; mais l’on ne s’efforçoit point de le prendre ; et en tout cas il croyoit que, puisqu’il demeuroit en liberté, il en seroit d’autant plus propre à secourir Francion dedans ses nécessités et à le tirer des malheurs où l’on le vouloit mettre. Il ne sçavoit si c’étoit Nays qui le faisoit arrêter ou bien Émilie, et il ne pouvoit croire qu’elles eussent raison de le traiter de cette sorte. Cependant Francion étoit avec les sbires, qui, pour leur premier ouvrage, se saisirent de tout son argent. Il les pria de le mener sans scandale et de ne le point tenir, ce qu’à peine ils voulurent faire ; car ils craignoient qu’il n’échappât, encore qu’ils l’eussent environné de toutes parts. Ils étoient assez loin des prisons, de sorte que, de peur qu’il ne se sauvât et qu’il ne trouvât quelque secours dans un si long